Avignon : les confidences d’un balcon

1er juin 2023

Si vous avez cette charmante habitude de flâner dans Avignon le nez en l’air pour mieux vous imprégner du décor - habitude que le ministère de la Culture devrait rendre obligatoire - vous ne pouvez manquer de remarquer les jolies ferronneries de ces balcons :

Prenez votre temps, car ces balcons sont bigrement bavards ! Du moins, avec moi… Sortez vos petites jumelles de théâtre - que tout flâneur se doit d’emporter avec lui - et regardons de plus près le balcon de la « maison aux ballons » 18 rue Saint-Étienne :

« Bon sang ! Mais c’est bien sûr ! » comme disait naguère le commissaire dans les séries télévisées : Ce sont des montgolfières ! Des montgolfières à Avignon ? Écoutons plutôt le balcon.

Nous sommes au XVIIIe siècle, rue Saint-Étienne, un quartier bouillonnant, grouillant d’activité en bordure du port fluvial, avec ses échoppes de menuisiers, de cordiers, de charretiers. En 1780, Avignon comptait 27 imprimeurs dont les livres étaient exportés en contrebande vers le Royaume de France : il suffisait de passer le pont…notamment des livres protestants interdits en France et édités ici, en terre papale, revêtus de fausses adresses en Hollande ou à Genève…

Qui dit imprimeur dit papier, et les papetiers y ouvrent bureaux et succursales. C’est justement le cas de Pierre Montgolfier, papetier à Annonay en Ardèche depuis presque deux siècles, à la tête de 11 enfants et de 300 ouvriers. Joseph, le second fils, passionné de chimie, de physique et de mathématiques en est le directeur technique… son père l’envoie ouvrir un bureau commercial à Avignon. Nous sommes en 1780, Joseph a 42 ans et en profite pour s’inscrire à l’Université d’Avignon où il décroche ses diplômes en théologie et en philosophie.

C’est l’époque de l’Encyclopédie où chacun se pique de science. Justement, à l’Université d’Avignon, Joseph Galien - dominicain et professeur de théologie - vient de publier chez Ignace Fez imprimeur Rue de la Bancasse, en 1735 un « Mémoire sur la formation de la grêle » suivi d’un « Amusement Physique et Géométrique sur la possibilité de Naviguer dans l’Air à hauteur de la Région de la Grêle »… 

Joseph n’a pu manquer de le lire… Il séjourne à ce moment 18 rue Saint-Étienne à Avignon chez un de ses client et ami. C’est le soir, devant un verre de Porto, ils discutent du siège de Gibraltar que les Anglais occupaient et qu’assiégeaient les Français et les Espagnols. Joseph s’amusa à dire à ses hôtes : imaginez un navire aérien qui atterrirait sur le Rocher en débarquant nos troupes… tout en parlant, il faisait sécher sa chemise dans la cheminée de ses hôtes, quand soudain, gonflée d’air chaud, elle s’échappa de ses mains et se mit à monter dans l’âtre : ce fut pour lui ce que la pomme fut à Newton. Le lendemain, il construisit une grosse boîte carrée avec du taffetas et du papier d’un mètre cube environ, et dans le jardin, la mit au-dessus d’un brasero et devant les assistants enthousiastes, ce premier engin volant rudimentaire s’éleva d’une bonne vingtaine de mètres et Joseph le baptisa « aérostat »… 

Quelque temps plus tard, il réitéra avec un nouvel aérostat - sphérique cette fois - dans la cour d’honneur de l’Hôtel particulier des Villeneuve-Martignan, l’actuel Musée Calvet, puis il fit un nouvel essai à Annonay en décembre 1782 :

« Ils la firent (la montgolfière) en plusieurs pièces en toile d’emballage revêtue intérieurement de trois doublures de papier cousues ensemble. À savoir, un dôme et trois ceintures dont celle du milieu était la plus large. Les pièces s’attachaient ensemble par mille huit cents boutonnières. L’extrémité inférieure était terminée par quatre tringles de bois de huit pieds chacune qui, se joignant par les bouts, formaient une ouverture de soixante-quatre pieds carrés (20 mètres carrés), plusieurs cordes, partant du haut du dôme et attachées tout du long, contribuaient à la solidité... Le premier jour pris pour l’essai, les inventeurs furent contrariés par un grand vent et, peu accoutumés à la manier, craignant d’ailleurs de la perdre, on ne la laissa s’élever que de trois ou quatre cents pieds (120 mètres), ayant toujours la précaution de la faire retenir par quatre hommes robustes. Le même essai fut répété ; mais on donna un peu de jeu au globe en laissant couler les cordes. Deux des personnes qui le retenaient, dans l’étonnement que leur causèrent les effets de la nature, cessèrent de le retenir : il enleva les autres à deux ou trois pieds (3 m) de terre ; et, comme ils ne se trouvaient pas disposés à faire le voyage en l’air, ils lâchèrent aussi leur corde. Le globe, livré à lui-même, parcourut un espace d’une demi-lieue en longueur et d’environ mille toises (deux mille mètres) en hauteur perpendiculaire » :

Puis le 19 septembre 1783, ce fut l’apothéose : à Versailles devant Louis XVI et sa Cour, un aérostat en coton collé entre deux feuilles de papier, mesurant 18 m de haut sur 13 m de large et pesant 400 kg. Il se nomme « Le Réveillon », car son ami Jean-Baptiste Réveillon, directeur de la Manufacture royale de papiers peints, l’a entièrement décoré : un fond bleu azur aux chiffres du roi – deux « L » entrelacés et dorés. Saluée d’un coup de canon, la nacelle avec un mouton, un canard et un coq s’élève de 600 m et parcourt trois kilomètres… jusqu’à Vaucresson : 

C’est ainsi, murmura le balcon en baillant, qu’avec mes ferronneries je suis désormais le dernier témoin de cette aventure extraordinaire qui fit de la cité des Papes le berceau de la conquête des airs. 

Et comme la nuit tombait, le balcon s’endormit.

François-Marie Legœuil