Décès du Père Eugène Carrara

21 mai 2012

1941-2012

Le Père Eugène Carrara, curé de la paroisse de Saint Saturnin-lès-Apt, est décédé le dimanche 20 mai 2012.
Les obsèques ont été célébrées jeudi 24 mai à 15h à la cathédrale d’Apt.

Extraits de la célébration des funérailles :

Mot d’accueil du Père Dominique Vallon

C’est avec une grande émotion que je vais au commencement de cette messe évoquer celui qui nous rassemble cet après midi dans la Cathédrale d’Apt. Permettez-moi de le faire avec humilité car, sans doute, il y a ici bien des personnes qui le connaissaient mieux que moi.
Le père Eugène Carrara que tout le monde appelait Eugène était une personne pas banale. Un aspect rude, rugueux à prime abord cachait une grande sensibilité et sans doute une certaine fragilité... Il était extrêmement attentif aux personnes, aux petits et aux pauvres en particulier, aux personnes âgées, aux prêtres âgés, aux personnes blessées par la vie. Il avait un humour extraordinaire qui fait que nous gardons tous en mémoire ses bons mots, ses réparties, ses blagues souvent salées : on ne peut se souvenir de lui sans avoir le sourire... Chacun de nous aujourd’hui pourrait raconter une anecdote le concernant... Il avait le don de détendre l’atmosphère au milieu des tensions, il savait dire bien fort ce que tout le monde pensait tout bas, il n’était jamais méchant et avait un don d’observation qui l’aidait à très vite cerner les personnes qu’il rencontrait. Eugène était un amoureux de l’Eglise et si parfois elle a pu le faire souffrir, il lui était d’une fidélité sans faille.

Eugène est né à Bergame le 9 août 1941 dans une famille nombreuse et pauvre : Je lui laisse la parole car il a décrit en peu de mots ce qu’a été son enfance dans les lignes de la revue paroissiale « Apt-Amitié » : « Je fais partie d’une famille d’émigrés, puisque quand je suis arrivé en France, j’avais à peu près 7 ans. Dans cette famille, la foi ne faisait aucun problème. On disait même souvent la prière en famille. Et puis en janvier 1948, j’ai été à l’école du Sacré Cœur, où j’avais Madame Garcin qui m’a appris le français et tutti quanti. C’est au cours du catéchisme, deux après, que le père Carbonneau a demandé ce que nous voulions faire, et s’il y en avait parmi nous certains qui pensaient être prêtres. J’ai dit oui, j’ai dit moi ! J’avais onze ans... Et puis je me suis retrouvé embarqué en 1953 au petit séminaire d’Avignon...

Eugène disait souvent que la première fois de sa vie où il a dormi dans des draps, c’était au petit séminaire....
Il est entré ensuite, d’abord au séminaire de Rancurel dans le Vercors où l’on plaçait les séminaristes qui ne faisaient pas d’études poussées. Puis il est allé au séminaire d’Aix en Provence et enfin au séminaire de Viviers qui étaient les séminaires de notre région...

Eugène a été ordonné prêtre ici à la cathédrale d’Apt le 16 juin 1968 au son des guitares et de la batterie... Beaucoup ici s’en souviennent...
Il a été nommé vicaire dans les paroisses de Sorgues-Le Pontet puis en 1975 il est entré dans l’équipe du petit séminaire d’Avignon où il est resté jusqu’en 1982.

Il a ensuite passé une longue période de sa vie de prêtre comme curé dans le Sud Luberon. Nommé curé de Cadenet-Lourmarin en 1982, il a commencé à avoir des responsabilités diocésaines. D’abord doyen, il devient en 1988 vicaire épiscopal de la zone du sud-est du diocèse et il le restera jusqu’en 2002... Il disait souvent pour plaisanter qu’il était arrivé au sommet de sa carrière ! En 1990, il devient curé de Pertuis où j’ai eu la chance d’être pendant trois ans son vicaire et en 1998 il franchit le Luberon pour devenir curé d’Apt, la ville où il avait grandi...En 2002, il est nommé curé de Saint Saturnin les Apt et des villages environnants où il est resté jusqu’à maintenant.

Eugène était passionné de football, il faisait même partie des équipes de foot de ses villages, aimait bien aller dans les bars ce qui faisait qu’il était connu de tout le monde dans les différents lieux où il habitait : ses relations dépassaient largement le cadre des communautés paroissiales... Mais il était aussi profondément attaché au Christ ! Je pense que beaucoup d’entre vous ont été marqués par la qualité de ses homélies... Lorsque des paroissiens lui demandaient le texte, il disait avec sa grosse voix qu’ils n’avaient qu’à acheter le Pèlerin de la semaine dernière : mais on savait bien que ce n’était pas vrai et qu’elles étaient préparées avec tout son cœur et toute sa foi...

Eugène à la fin de sa vie n’était pas en bonne santé... Il a fait un malaise en tenue de prêtre à la fin de la messe de Caseneuve, il est parti trop vite et nous manque déjà beaucoup. Nous savons que de là où il est, il continue dans le Christ à nous donner toute l’amitié et la chaleur qui le caractérisaient et à servir notre Eglise diocésaine...


Homélie des funérailles, par le Père Lucien Aurard

Mes amis ! Que nous sommes nombreux !
Tous réunis pour Eugène.
Peut-être pour être encore un peu avec lui car nous savons qu’il va nous manquer.

Peut-être aussi parce que la mort d’Eugène est un évènement qui nous bouscule plus que nous ne pouvions l’imaginer. Il faisait tellement partie de notre vie !
Depuis lundi tout nous revient en mémoire : sa malice et son humour, ses réparties abruptes et sa bonté, sa rudesse et sa bonne humeur, son indépendance et sa convivialité, sa liberté et sa fidélité, son impatience et son attention aux autres, ses qualités, ses défauts. Tout cela nous monte au cœur pêle-mêle car il s’en est servi pour être au milieu de nous un serviteur de Dieu extraordinaire.

Saint Paul, dans le passage de la deuxième lettre aux Corinthiens – notre lecture pour ce dernier Adieu à Eugène - dit : « Notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. » Eugène a dû souvent méditer cette phrase. En tout cas, c’est exactement le message qu’il nous laisse et qu’il n’a cessé de vivre toute sa vie. Derrière le joueur de foot, le passionné de rugby et le lecteur attentif de l’Equipe, il y avait le prêtre en mission, en relation avec les petits, les ignorés, les abimés de la vie. Eugène et Berdine, par exemple, c’était devenu une véritable histoire d’amour. Eugène et le prieuré de trois petites sœurs perdues dans la montagne du coté de Céreste, c’était une fidélité, un engagement sans faille depuis de nombreuses années. Eugène, ce dimanche à Caseneuve, qui tient à reprendre et à terminer la messe et qui, avant de s’écrouler, dit : « je vais faire le baptême », c’est le sprint final d’un champion de Dieu qui ne regarde pas ce qui est provisoire et garde son regard fixé sur ce qui est éternel. Sa foi, bien enracinée dans l’Evangile et toute la Bible, était fondée sur la résurrection du Christ. Eugène savait qu’en l’homme il y a le provisoire et l’éternel, l’homme extérieur et l’homme intérieur. Son ambition – qu’il ait à conserver sa demeure sur la terre ou qu’il doive la quitter - c’était de plaire au Seigneur.

J’aime imaginer que c’est là son dernier sermon, son dernier message emprunté à saint Paul. Son message d’Adieu : Pour plaire à Dieu, il ne faut jamais séparer le ciel et la terre. Il ne faut jamais séparer Dieu et les hommes. Sans amour de la vie, la religion tourne à la bigoterie. Sans amour du ciel, l’amour de la terre s’enlise dans un matérialisme plat et triste.

Comme Evangile, nous venons d’écouter la parabole du semeur.
C’est une parabole importante. On la retrouve à peu près mot pour mot dans les trois évangiles synoptiques.
Eugène a semé le bon grain avec une impressionnante largesse. Aux dimensions sans limite des son cœur. Il était messager de Bonne Nouvelle dans son église et à l’extérieur.
Dans son église, on venait écouter ses homélies. On aimait cet homme qui avait une parole de prophète. Il parlait aux siens avec des mots qui étaient bien à lui. Il y avait parfois un peu de provençal ou un peu d’italien. Depuis un certain temps, il parait que dans ses homélies, assez souvent, il s’adressait directement à Dieu. Un peu comme le psalmiste interpelle son Seigneur pour le louer ou pour gronder. A l’extérieur aussi Eugène était l’homme de tous. Frère de tous. Hier soir, à Saint Saturnin, c’était impressionnant. Un bouquet de fleurs sauvages sur la porte de l’église. Le drapeau en berne à la mairie. Tout Saint Saturnin, rassemblé autour de son maire, rendait hommage à son curé.

Vous savez, le grain a deux fonctions :
  • Ou bien il devient de la farine, du pain, de la pâtisserie. Des choses importantes mais qui servent un instant et après disparaissent. Le but, c’est la consommation.
  • Ou bien il est semé en terre. A l’intérieur. Dans le cœur. Et là, un processus va s’amorcer et le mouvement sera irréversible. Il va naître quelque chose qu’on ne sait pas encore.
Le choix est là : ou l’on garde son grain pour le consommer et, du coup, on le détruit. Ou l’on sème son grain, on le jette en terre et du coup on le sauve.
C’est un pari.
C’est un risque.
En langage religieux, ce pari, ça s’appelle la foi.
Eugène a fait le pari de la foi. Je suis sûr qu’il n’a pas fini de nous surprendre.