JUILLET-AOÛT 2022 : « J’ai si peu parlé ma propre langue »

10 juillet 2022

Le festival IN 2022 est placé sous le signe du temps : « Il était une fois ». Et aussi des spectacles du festival OFF ont cette résonance. Cette période d’après Covid, (bien que ce ne soit plus vraiment le cas), nous oblige à penser : « vers où allons-nous ? », le récit de l’avenir étant toujours en relation avec la lecture du présent, lui-même résultant de notre histoire personnelle et collective. Après les éclats apocalyptiques de l’an passé cette année paraît avoir besoin de se réapproprier l’histoire.

En ces premiers jours, des affiches du OFF donnent une ambiance : « Hier arrive bientôt ». Notre culture judéo-chrétienne (bien que tout rationaliste soit dérangé d’y être inclus) a une conception du temps dans lequel le passé pose les bases pour vivre le présent avec espérance, en quêtant l’avenir. Après ce break de l’histoire (2020-22), vers où va-t-on ? Si ce n’est pas vers une fin apocalyptique, vers quoi ?

« L’être recommandé » ? Une autre affiche évoque une voie qui semble inexorable. L’avenir, c’est l’homme augmenté d’une intelligence artificielle selon les projections informatiques ? La nouvelle ère que nous fabriquons en augmentant nos performances face aux failles et aux névroses, est-ce le futur ? C’est cela l’avenir ?

En lisant le texte qui introduit la 76e édition du IN « Il était une fois », il semble que l’avenir devrait venir du Peuple qui se réapproprie le mouvement d’ensemble du corps social avec les printemps révolutionnaires. Quelque chose de Berthold Brecht ou de Gorki, qui ferait rêver, dans la salle, un collectif porteur de la société libérée de demain. Sauf que cette idée « chrétienne » du corps collectif menant à un futur messianique, par le groupe moteur de l’histoire, a déjà fait ses preuves. Pas trop convaincantes à vrai dire. Le pessimisme actuel, n’est-il pas le signe « très sain », que l’homme ne croit plus que les grands idéaux, (aujourd’hui souvent réduits à des avancées sociétales sexuelles à des libérations idéologiques), sont capables de forger un avenir ? Des avancées crispées qui ne réveillent (Woke - Wokisme), que des particularités singulières menacées, vont-elles construire un avenir collectif ? La chute des systèmes oppresseurs est bonne mais la déconstruction peut-elle garantir un avenir fécond ?

 « Hier arrive bientôt » évoque une autre vision de l’avenir, vers laquelle une grande partie de notre société et des membres de notre Église semble tournée. La tradition est comprise comme une réduction à une certaine idée qu’on se fait aujourd’hui du passé. Des grandes valeurs, la Patrie, le Patrimoine. Les racines sont plus nécessaires que jamais. L’avenir ne viendra jamais sans une certaine appropriation du passé comme tremplin. Mais quel passé ? Quel discernement entre le socle vivant qui continue à l’être et un passé nostalgique qui ne mène à rien ?

Le titre d’une 3e affiche me permet de continuer la réflexion. « J’ai si peu parlé ma propre langue », me renvoie à une autre lecture du passé. Le passé eucharistique, la langue du « don total de soi-même, et pour tous », réalisé au mont Sion et au Calvaire il y a deux mille ans. Un passé qui est plus qu’une nostalgie. Un passé qui a eu lieu une fois pour toutes dans lequel tous nos présents sont immergés. Ce passé est resté un langage, un Logos Vivant. Il a été préparé par une très longue histoire. Il a continué pendant des siècles à accompagner et à configurer d’une façon tantôt explicite, tantôt discrète notre société. Il continue à être vivant discrètement dans les marges de la laïcité. Nous avons très peu parlé notre propre langue. Le corps que nous recevons, est le même corps que nous formons avec l’autre. Le langage eucharistique nous mène à vivre des relations avec l’autre dans lequel on touche à Dieu. Tout est lié. Mais on ne vit pas en permanence « reliés ». Nous sommes encore analphabètes dans cette langue…

C’est la langue du Dieu Incarné et de l’homme divinisé. Elle a été notre langue avec différents accents, portée secrètement par des saints souvent silencieux mais « porteurs et portés ». La réalité est le Corps Eucharistique du Christ qui nous a portés et qui nous porte encore 2000 ans plus tard. Habiter et apprivoiser ce passé ne débouche pas sur la nostalgie ou dans « l’ apocalypse now ». Au contraire, cela permet de voir qu’il y a un avenir. Puisque notre présent est ce Corps, porté par la sève vivante du Ressuscité qui seul peut convertir nos altérités en Agape dans lequel la construction faite par chaque membre vivant est déjà là, dans lequel les souffrances sacerdotales de ceux qui sont tendus vers le bien des autres , sont déjà Agape. Cet avenir ne passera jamais. Cette langue, notre langue, nous ne l’avons pas trop parlée. Le moine noir de Tchekhov voulait la saisir mais elle lui échappait. La langue de l’Amour jusqu’au bout, sans la synergie eucharistique fait devenir fou. Mais contemplée, repérée, vécue et partagée elle est Royaume de Dieu déjà commencé. Histoire. Avenir Certain !

Bon été à tous, 

P. Paco Esplugues