« Et la porte se referma »

9 novembre 2011

Un jour viendra où tout s’arrêtera, où nous n’aurons plus le temps…
Avec la parabole des dix jeunes filles, dont cinq étaient sages et cinq ne l’étaient pas, la liturgie de cette année, qui suit l’évangile de Matthieu, nous achemine vers la scène du Jugement dernier, ou Dieu fera le tri entre les justes et les maudits, une chose à laquelle nous n’aimons pas trop penser, bien que nous la proclamions chaque dimanche dans le Credo.

Pourtant, sans cette perspective finale, que devient notre christianisme et le salut de tous les hommes, réalisé dans le Christ, dont il est porteur ? Tout au plus, une « technique de bien être » parmi d’autres, au marché des spiritualités.

Mais si, selon la chanson, nous irons tous au paradis, à quoi bon se soucier de son salut, et plus encore de celui des autres ? L’effacement des fins dernières de notre horizon au profit d’un bonheur réalisable en ce monde accompagne dans notre société l‘effacement progressif du christianisme, comme le confirme, entre autres, la récente décision du tribunal de Coutances d’exiger que soit « effacée de manière indélébile » la trace d’un baptême, pour satisfaire un particulier exigeant le respect de sa vie privée. Cette « débaptisation », devenue à la mode, l’Église accepte de l’enregistrer en marge de l’acte de baptême, comme un « reniement » qui peut se demander par simple lettre. Mais comment pourrait-elle faire comme si ce baptême n’avait pas été, comme si effacer une trace écrite d’un événement passé, supprimait cet événement lui-même qui, en tant que passé, et quelle que soit la manière dont il est connu, ne peut pas ne pas avoir été ? Non seulement cette propriété du passé de ne pouvoir ne pas avoir été est au fondement du travail de l’historien, mais c’est quelque chose que Dieu lui-même, bien que tout puissant, ne sait pas faire avec nous. Et heureusement, car, privé d’une partie de mon passé, que serais-je donc, non seulement pour Lui, mais pour moi ? C’est tout le sens de notre attente de la résurrection finale que de nous amener à ne rien négliger de notre vie corporelle : nous serons entièrement responsables de ce que nous serons, car nous ne pouvons pas plus être autres que ce que nous sommes, que devenir autres, en bien comme en mal, qu’à partir de ce que nous sommes – de la vie qui nous a été donnée et de ce que nous en avons fait.

Mais, s’il en est ainsi, c’est que le libre-arbitre nous a été donné, ce pouvoir de choix qui n’est pas encore notre liberté, laquelle est toujours à conquérir ou à reconquérir sur notre servitude aux multiples visages – concrètement sur les habitudes de notre péché –, mais qui en est la condition. Et notre vie dans le temps n’est rien d’autre qu’une succession de choix...

Avec ses paraboles sur le Royaume de Dieu, qui nous disent que la porte en est étroite, Jésus ne se contente pas de nous indiquer le paradis ou l’enfer, la vie avec Dieu ou la vie sans Dieu, comme les deux issues possibles où nous conduiront notre acceptation ou notre refus de répondre à notre vocation d’enfants de Dieu ; il nous indique, en chacune, une clef pour notre choix.
Ainsi, dans celle des vierges sages et des vierges folles, dix jeunes filles extérieurement semblables en ce qui concerne leur virginité et leur aptitude à aller au devant de l’Époux. On peut penser que leur nombre (dix au lieu d’une !) renvoie à la composition de « l’Église de maintenant », ensemble de ceux qui ont été tirés du monde et qui doivent s’en garder. En elle,
écrit saint Augustin, sont à la fois ceux qui pratiquent ce qu’ils enseignent, « des gens qui sont tellement dans le Royaume de Dieu qu’ils sont eux-mêmes son Royaume », et « ceux qui se dispensent de pratiquer ce qu’ils prescrivent », qui, selon la parabole de l’ivraie, croissent avec les justes, mais sans régner, comme eux, avec Dieu, mais qui seront exclus de « l’Église telle qu’elle sera, quand le mauvais n’y sera plus » Cité de Dieu, XX, 9, 1
L’époux se faisant attendre, nos dix vierges se sont endormies : tous nous connaîtrons la mort… Et cependant, la différence est telle entre les sages et les folles que ces dernières ne rentreront pas dans la salle des noces. Où étaient-elles donc quand les portes se sont ouvertes puis refermées ? Chez les marchands, où elles étaient accoutumées d’aller acheter ce qui manifestement, ici, ne peut plus que leur manquer. Et ce que les autres ne peuvent leur donner, « de peur, leur disent-elles, qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous ». Voilà qui est bien étrange là où devrait régner la loi du tout en commun de la charité ! Or, ce qui ne peut ni s’acheter ni se vendre, ce qu’on ne peut même pas donner à un autre, c’est ce que l’on est.
C’est ce que chacun s’est fait, ou a tenté de se faire, dans la vérité de sa vie avec Dieu qui lit dans le secret des coeurs, et que ne saurait remplacer les compliments ni la flatterie des autres auprès desquels il est folie de rechercher notre « huile » : ce qui nous fait être et agir.


Jean Mallein.