Homélie du Père Doumas

21 février 2022

Homélie du dimanche 20 février 2022

 

Le texte que nous venons de lire est l’un des plus denses de tout l’évangile. A mon sens, cela culmine dans le commandement : « Ne jugez pas ! »

 

Ce n’est pas une simple question de précaution. Quand on juge, en effet, on prend le risque certain de se méprendre. Quand donc connaît-on l’ensemble du dossier ? Les circonstances, les causes, échappent en tout ou, tout au moins, en partie. Juger, c’est quasi nécessairement se tromper. Mais, l’affirmation de Jésus va bien plus loin.

Juger revient à Dieu et à Dieu seul. Lui seul a l’autorité, il faudrait dire la « souveraineté », pour exercer le jugement. Il n’est pas seulement ce qui sait, qui sait tout, l’omniscient, il est, littéralement, le maître. Celui qu’il juge lui appartient. Mais, et c’est le renversement évangélique, l’homme appartient à Dieu comme un enfant à son père et c’est ainsi que lorsque Dieu juge il sauve.

Il n’y a pas d’autre sentence que celle du salut. Dieu ne sanctionne pas le mal en énonçant sa réalité et ses conséquences. Dieu nous libère du mal en affrontant le mal. Et c’est pourquoi l’acte décisif du jugement est la croix. Les hommes ont jugé le Fils de Dieu et l’on fait mourir. Le fils de Dieu a donné sa vie pour faire vivre. L’Écriture dit : « Vos pensées ne sont pas mes pensées ! »

Être chrétien, c’est se laisser saisir par le salut. On ne se convertit pour se sauver. Mais, c’est parce qu’on est touché par le salut que l’on entre en conversion. Dieu est toujours le premier à agir. C’est cela la grâce ! Elle est fondamentalement prévenante. Prévenante : elle anticipe sur nos capacités et nos actes. Mais elle est aussi disposante : elle nous dispose au bien, elle nous met dans l’amour. Celui qui acquiesce à l’amour de Dieu aime. Sinon on reste dans le péché et la mort.

Le chrétien confesse le Christ comme son « seigneur », comme le maître. Nous confessons le « tout-puissant », le Créateur : celui qui régit les galaxies, celui qui a fait surgir les dinosaures, et celui qui a conduit les descendants de l’australopithèque jusqu’à homo sapiens, et qui est, aussi, mon créateur, car je ne suis pas seulement le fruit de mes parents, mon existence n’est pas seulement une réalité biologique ! Oui, il est « mon seigneur » et j’ai beaucoup de joie à le louer. J’aime chanter sa grandeur et sa beauté.

Devant mon créateur, je me sais tout petit et mortel, mais cela ne m’écrase pas. Au contraire, si je n’avais pas mon créateur pour Père, si j’étais seulement un être de la nature, alors, oui, je pourrais me sentir écrasé. L’immensité de la mer ou de la forêt et bien plus encore l’immensité de l’espace me glacerait d’effroi. Avec Pascal, j’avouerai : « Le silence de ces espaces infinis m’effraie ». Mais, puisqu’il est mon origine, puisqu’il est ma source, je sais, du moins par intuition, que je n’ai pas vocation à être perdu, que ma fin terrestre n’est pas le terme ultime. Je sais qu’il me ressaisira, qu’il m’arrachera à la mort et me fera vivre de sa vie. Mais, ainsi, je ne confesse pas le Christ seulement comme mon « seigneur », je le confesse comme mon « sauveur ».

Nous vivons, au moins depuis trois siècles, un changement de civilisation. A la fin de l’Antiquité, au moment où l’Empire romain s’écroulait, a surgi avec une très étonnante rapidité une civilisation neuve. On est passé du monde païen au monde chrétien. On est entré en chrétienté. Mais aujourd’hui on en est sorti et on n’y reviendra pas ! Nous vivons, de plus en plus, dans un monde sécularisé.

A vrai dire, il se pourrait que ce monde sécularisé ne soit pas sans religion. Pour une part, en effet, nous assistons à une restauration du paganisme et on peut penser qu’un monde complètement athée n’ait pas de possibilité historique. Il n’empêche ! Pour un très grand nombre de nos contemporains, le Dieu de la Bible, celui que nous confessons comme chrétiens, a perdu toute pertinence. Littéralement, il ne dit plus rien. Il est devenu un Dieu muet. Être chrétien, c’est dire que Dieu parle. Mais il ne fait pas que parler. Il agit. Et son action pour l’homme est action de salut.

Quand les chrétiens cessent de confesser le Dieu qui sauve, quand ils se contentent de dire, comme d’autres, que « Dieu est grand », ils se renient et se condamnent à disparaître. Frères et sœurs, faisons l’expérience, intime et profonde, mais, aussi, communautaire, que Dieu sauve, que Jésus est notre sauveur, qu’il est celui qui nous arrache à la mort et au mal. Ce que je viens de dire touche le cœur de notre foi. Mais, je voudrais pour conclure insister sur du raplapla. Qui peut prétendre confesser authentiquement le Dieu qui sauve et s’enfermer dans les mesquineries de son existence, dans les platitudes de sa vie ? Si nous ne laissons pas le Souffle nous pénétrer et nous envahir nous sommes les plus malheureux des hommes ! Amen !