Homélie du Père Doumas

15 mars 2022

De loin le père aperçoit le fils. C’est qu’il le guettait. Son cœur de père savait qu’il reviendrait. En effet, il se doutait que tout cet argent - l’argent d’un riche héritage - serait bien vite gaspillé. Il n’imaginait pas comment. Ou plutôt il ne voulait pas se l’imaginer. Mais, il avait anticipé le résultat final. Inévitablement le sort de son enfant allait être tragique. Car, l’argent dilapidé, son fils serait totalement incapable de survivre par lui-même. Vers quelle déchéance allait-il être entraîné ? Mais, alors que pouvait-il faire, sinon revenir ? Et le voici qu’il revient ! Il est couvert de plaies et de bosses, son visage et tout son corps sont terriblement amaigris, il titube plus qu’il ne marche. Mais, il est vivant. Vivant !

Alors, le père se lève et court vers son fils. Il se jette à son cou et le couvre de baisers. Il le couvre de baisers ! Non pas un simple bisou ou une gentille caresse. Non ! il le couvre de baisers. Car, il s’est jeté à son cou. Rendez-vous compte, il s’est jeté à son cou et il le couvre de baisers. Il ne lui dit rien. Il ne lui dit pas : « Mon enfant, te voila revenu. Que je suis heureux ! » Il ne lui dit pas : « Je t’aime, mon fils. » Non ! Aucune parole ne sort de ses lèvres mais, de ses lèvres, il le couvre de baisers. Il va dire aux domestiques : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. » Mais avant qu’il ne soit couvert du plus beau vêtement par les domestiques, lui, son père, le couvre de baisers.

Peut-être aurait-il l’idée de s’excuser ? Il pourrait lui dire : « Jamais, je n’aurais dû te laisser partir. » Ou bien, il pourrait lui faire cet aveu : « Maintes et maintes fois, j’ai voulu partir à ta recherche. Mais, il me fallait rester à la maison à cause de ton frère. Car, il est toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à lui. » Mais, non ! Il n’a pas à s’excuser, il n’a pas d’explication à donner ou de justification à plaider. De loin, il a vu son fils et il a été « saisi », il a été bouleversé. Alors, il s’est levé, il a couru, il s’est jeté au cou de son fils et il le couvre de baisers.

Frères et sœurs, nous croyons en un Dieu qui est Père et qui couvre de baisers ses enfants ! Cela est fantastique, merveilleux. Cela atteste notre dignité. Mais, cela peut faire peur ! Ce père qui se jette au cou de son enfant, qui lui coupe la parole - car, il lui coupe la parole, il l’empêche d’aller au bout du petit discours, si bien préparé sur la route : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi …Ce père, qui coupe la parole à son enfant et le couvre de baisers, ce père ne manifeste-il pas une violence, un désir de prendre, d’étreindre. Littéralement, de posséder. Et, d’un tel amour ne faut-il pas se protéger ?

De fait, je crois que lorsqu’on aime vraiment on suscite toujours chez l’autre, à un moment ou un autre, la peur de trop aimer. Mais, ici, il s’agit de Dieu.

Je pense que beaucoup de nos contemporains, sans jamais se le formuler clairement, ont cette idée en tête. Beaucoup jugent que Dieu, c’est bien. Mais, que l’excès de Dieu est dangereux. Il est bien connu, n’est-ce pas, que Dieu rend fou ! Et un Dieu qui aime trop, un Dieu qui couvre de baisers, c’est trop !

Frères et sœurs, quand on est chrétien, on n’a pas peur du Christ, de son amour, de sa passion pour l’homme. Quand on est chrétien, on ne craint pas d’être couverts de baisers ! Car, cet amour n’étouffe pas, cet amour libère. Nous n’avons pas à avoir peur que cela nous mène trop loin. Car, si cet amour nous sollicite, il ne nous contraint pas. Et, surtout, surtout ! Cet amour donne d’aimer, et que valent nos vies si elles ne sont pas données à l’amour ?