Homélie du Père Doumas

18 mai 2022

Homélie du dimanche 15 mai 2022

 

Il y a vraiment deux morceaux dans le passage que nous venons de lire. Dans le premier, tout est centré sur la « gloire ». Le mot revient cinq fois en trois lignes ! Dans le second, Jésus donne aux disciples le commandement de l’amour mutuel.

Le mot « gloire » n’a pas un sens profane. Il est entièrement théologique. Il signifie « révélation ». Quand Jésus dit que le « Fils de l’homme » est glorifié et que Dieu est glorifié en lui, il dit que l’identité de Jésus est « manifestée », qu’elle est révélée dans et par sa mort et quand il dit que Dieu le glorifiera et précise le glorifiera « bientôt », il dit que son identité sera révélée dans la résurrection. Que Dieu ait un Fils, que ce Fils, qui est aussi le Messie, le Christ, meure sur la croix et ensuite ressuscite, cela était sans doute annoncé dans les Ecritures, mais, en même temps, complètement neuf et même inconcevable. D’où la nécessité de qualifier cette révélation par le mot de « glorification ». Il faut insister sur l’idée que la mort de Jésus, humainement infamante, est « glorieuse » parce qu’elle manifeste l’amour du Père et du Fils pour les hommes de manière radicale. Et la résurrection n’est pas une simple revanche, un retournement de situation, elle est communication de la vie nouvelle, de la vie en Dieu, car la glorification du Fils est d’aller « au » Père.

Après ce passage sur la « glorification » vient, sans transition, le commandement nouveau. Examinons cela. Il y a une contradiction entre le fait de commander et l’amour. L’amour en, effet ne se commande pas. Vous pouvez désirer qu’une personne vous aime, vous ne pouvez pas lui donner l’ordre de vous aimer ! Certes, vous pouvez demander à une personne qu’elle vous respecte, qu’elle honore les devoirs qu’elle a vis à vis de vous et qu’elle doit accomplir, mais pas qu’elle vous aime. Et, d’ailleurs, l’amour ne se décide pas !

Ce qui éclaire le paradoxe du commandement d’aimer, c’est qu’il est un commandement « nouveau ». Mais la nouveauté du commandement ne consiste pas dans le fait qu’il n’existait pas auparavant. Ce n’est pas le dernier cri, qui mériterait une bonne pub, comme l’a été, il y a peu, le téléphone portable. Il est nouveau parce qu’il est imitation de l’amour de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Et c’est pourquoi cette nouveauté demeure, elle est littéralement indépassable. Rien de ce qui vient après ne peut prétendre être neuf. Le commandement de l’amour est toujours neuf. Par rapport à lui tout est ancien. Il rend obsolète tout ce qui le précéde, mais aussi tout ce qui prétendra le dépasser. Mais, alors, que signifie « aimer » quand Jésus parle de commandement nouveau et qu’il demande à ses disciples de s’aimer les uns les autres « comme il les a aimés. » ?

Manifestement il ne s’agit pas du sentiment, de l’affection naturelle ou passionnelle pour une personne, il s’agit de voir en l’autre le frère que donne Jésus et qui est fils du Père. Et c’est ainsi que ce qui est dit de la « glorification » donne sens au « commandement » d’aimer. Ce sont la passion et la résurrection qui donnent sens à l’amour en Jésus. En donnant sa vie et en recevant la vie nouvelle il crée une filiation et une fraternité radicalement nouvelles. Ainsi, nous sommes appelés à reconnaître en celui qui, comme nous, confesse Jésus et vit en Eglise, un frère, qui est fils de Dieu. En fait, cela est très radical.

La République française a une belle devise : « liberté, égalité, fraternité. » Mais quel est le fondement de cette fraternité ? Peut-être le président de la République vous expliquera que la nation est une mère, qui engendre des enfants qui sont donc des frères. Mais, c’est une image bien lointaine et que beaucoup contesteront. Jésus, lui, parle d’un Père qui a un Fils, qui est Dieu et qui devient homme pour faire de tous les hommes des fils de Dieu et Jésus se présente comme le frère de tout homme. Du coup, on comprend que cet amour est toujours à la fois concret, immédiat : il s’agit du frère qui est là, sur ma route, comme le blessé sur la route du samaritain, et en même temps cet amour est universel, il n’exclut personne.

Je conclus ! Nous avons souvent entendu que le chrétien doit aimer son prochain. Certains diront que de peu ou de prou cela se retrouve dans beaucoup de philosophies et de manière générale dans les religions. Mais, cela doit être compris en vérité, en vérité chrétienne : dans toute sa profondeur. Je suis invité par Jésus à voir dans mon frère un fils de Dieu. Cela se dit en trois mots, mais cela n’a rien d’évident. Il faut un très fort exercice du regard pour voir en celui que je rencontre un frère, qui est fils de Dieu. Et l’aimer comme Jésus aime, cela n’a rien d’évident ! En fait frères et sœurs nous ne pouvons aimer qu’en aimant comme Jésus, non seulement en l’imitant, mais en nous laissant transformer par son amour. Car c’est son amour qui pénètre notre cœur et nous rend ainsi capable d’aimer. Il est le Fils unique, il est le Frère unique - qui fait de nous des frères !
Amen.