Homélie du Père Doumas

23 septembre 2021

Jésus et les disciples arrivent à Capharnaüm. Capharnaüm, c’est, pour ainsi dire, la base de Jésus, la ville de Galilée d’où il part en mission et où, toujours, il revient. L’Evangile parle même de « la » maison. Cette maison était bien identifiée. C’était celle-ci, et pas une autre. Jésus ne possédant rien, il est probable que cette maison était celle de Pierre.

Sans grand effort d’imagination, on voit le petit groupe de Jésus et des Douze arriver dans le village et entrer, ensuite, dans la maison. C’est alors que Jésus pose la question : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » En fait, il n’avait pas besoin de poser la question pour savoir la réponse ! Mais, il voulait donner une leçon aux disciples et il leur cloue, littéralement, le bec : « Ils se taisaient, car, sur la route, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. » C’est dire à quel point ils n’avaient rien entendu de l’annonce de la Passion que Jésus leur avait fait, pour la deuxième fois : « le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes, ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera » ! Cependant, Jésus ne revient pas sur ce sujet. Il va les instruire autrement.

D’abord, il adopte l’attitude du Maître, de celui qui enseigne : il s’assoie. Dans l’Antiquité, le maître parlait assis et les auditeurs étaient debout. C’est ainsi que le siège, la « cathèdre », est devenue le symbole de l’évêque qui enseigne son peuple et que l’église de l’évêque est devenue l’église « cathédrale ». Jésus, donc, s’assoie et il appelle les Douze. Cet appel n’est pas simple convocation. En fait, il les réintroduit dans leur vocation. Marc précise bien, d’ailleurs, les « Douze » ; il ne dit pas, simplement, les « disciples ». Ainsi, Jésus, assis, dans la position du Maître, enseigne ceux qu’il a appelés et institués comme fondements de son Eglise. Il est clair que le moment est solennel.

Il leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous. » On pourrait s’arrêter à ce renversement et n’y voir qu’une sorte de paradoxe. Mais, Jésus précise ce que veut dire « dernier de tous » : « qu’il soit le serviteur de tous. » Il ne s’agit pas de s’humilier de façon artificielle. Encore moins d’entrer dans le petit jeu « à qui perd gagne » ! Il s’agit de quelque chose de très concret : être serviteur de tous. On insiste souvent sur ce mot « serviteur ». Mais, il me semble que l’accent est sur « tous » : « serviteur de tous ». Quand on est serviteur selon le Christ, on n’est pas serviteur pour certains et maître pour les autres. On ne s’inscrit pas dans une hiérarchie, avec ceux qui sont au-dessus et ceux qui sont en dessous. Quand on est serviteur selon le Christ, on est serviteur de tous : c’est à dire en tout, partout et toujours.

Cependant, Jésus n’en reste pas à ce discours, concret certes, mais quelque peu général. Il passe à l’acte. « Il prend un enfant et le place au milieu d’eux ». Autrement dit, il se lève - il abandonne le siège du maître, et place l’enfant au centre du cercle que forment les disciples. C’est alors que Jésus embrasse l’enfant. Pour nous, embrasser un enfant, lui faire un bisou ou un câlin, est devenu banal. Ca l’était moins il y a quelques décennies. Du temps de Jésus, c’était aussi étonnant que de parler à une femme dans la rue ! Mais ce bisou n’est pas seulement l’expression de l’humanité de Jésus. Il donne sens à l’énoncé qui suit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. » Il n’y a pas d’accueil véritable sans tendresse, sans délicatesse du cœur et du geste.

Mais que veut dire l’expression « un enfant comme celui-ci » ? Cet enfant-là était-il particulier ? Apparemment non. L’Evangile ne nous le décrit pas. Il ne nous dit pas même son âge. Avait-il trois ans, sept ans, onze ans ? Ce n’est pas pareil ! Mais, en fait, là n’est pas l’important. L’important est que cet enfant soit un enfant, c’est à dire un « petit », part négligeable d’une société où seul l’adulte était considéré. La sensibilité de l’Antiquité à l’égard de l’enfant était, en effet, très différente de la nôtre. Cependant, l’insistance dernière du texte est au-delà : Jésus nous demande d’accueillir l’enfant « en son nom ». Cela veut dire qu’on accueillera l’enfant en lui disant : « C’est Jésus qui t’accueille ».

Mais, il y a bien plus encore : en accueillant l’enfant au nom de Jésus, on accueille Jésus lui-même : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. » Ainsi en disant : « C’est Jésus qui t’accueille », nous accueillons Jésus ! Jésus est, donc, celui qui accueille et celui qui est accueilli ! Là non plus ce n’est pas un simple paradoxe. On est, en fait, au cœur de la cohérence évangélique : le seul moyen d’accueillir Jésus dans sa vie, c’est d’accueillir les autres, les adultes comme les enfants, avec le même amour, la même tendresse que Jésus. Et, dès lors, s’accomplit la mission de Jésus : « Celui qui m’accueille ne m’accueille pas moi, mais Celui qui m’a envoyé ».

Frères et sœurs, nous sommes tous cet enfant que Jésus embrasse et auquel il révèle la tendresse de son Père. Et tous, si vraiment nous désirons accueillir cette tendresse du Père, nous nous devons les uns aux autres cette tendresse. C’est par l’accueil et par la tendresse que nous sommes « serviteurs de tous » !