Homélie du Père Doumas

4 octobre 2021

Dimanche 3 octobre 2021

Souvent le lectionnaire, qui découpe le texte biblique et propose à la lecture liturgique tel ou tel passage, est critiquable. Pour ce dimanche, la faute est manifeste. Il est proposé soit de lire seulement ce que nous venons de lire ; on parle de « lecture brève ». Soit de lire ce texte et d’y ajouter le texte, majeur, sur les petits enfants, où Jésus déclare solennellement : « Amen, je vous le dis, celui qui n’accueillera pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Ce texte sur les enfants est donc « en option ». En fait, il aurait fallu un découpage qui permette la lecture des deux, mais pas le même jour. Et j’ai beaucoup hésité. J’ai bien failli choisir le texte des petits enfants, mais finalement, je pense qu’il faut préciser certaines choses à propos du mariage et c’est ce texte que je vais commenter.

Matthieu, bien mieux que Marc, nous a conservé le contexte de cette controverse entre Jésus et les pharisiens sur la répudiation. Brièvement, je vous situe donc les choses.

Dans le monde juif, l’homme a le pouvoir de renvoyer sa femme. Il s’agit de répudiation, pas de divorce puisque la femme n’a pas ce pouvoir par rapport à l’homme. Cependant, l’homme a l’obligation, quand il renvoie sa femme, de lui donner un certificat de renvoi, qui la rend libre d’épouser un autre homme. Le mari renvoie l’épouse, mais en même temps il renonce à ses droits sur elle.

Aujourd’hui encore cela se pratique et il arrive qu’un trafic se mette en place. Il est tentant de faire payer en monnaies trébuchantes le certificat de renvoi à la femme et il y a quelques années à Paris il y a eu un procès, au cours duquel un rabbin, peu scrupuleux, a été condamné. Il avait demandé sa part dans l’opération !

La question posée à Jésus, dans ce contexte, est claire : sous quel motif l’homme peut-il renvoyer sa femme ? Car, en fait, il y a deux écoles. L’une, rigoriste, celle de Shammaï, qui dit : l’homme n’a pas un pouvoir discrétionnaire pour renvoyer sa femme, pour qu’il puisse le faire il faut qu’elle ait fait une faute grave. L’autre école, libérale, celle de Hillel, dit que l’homme peut renvoyer sa femme sous n’importe quel motif : « Ma chérie, tu as trop cuire le poulet, dehors ! »

Immédiatement, Jésus récuse l’une et l’autre école. En fait, il met en question le pouvoir de l’homme de répudier sa femme. On lui objecte que dans la loi la répudiation existe puisque Moïse prévoit le certificat de renvoi. C’est alors que Jésus passe par-dessus la loi, cite la Genèse : « Dieu les fit homme et femme. A cause de cela l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux deviendront une seule chair ». » Et Jésus ajoute son commentaire : « Donc ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas ! »

Ce jour-là, les choses ne sont pas allées plus loin. Certes, les disciples se sont esclaffés : « Si l’homme ne peut plus renvoyer sa femme, il vaut mieux ne pas se marier ! ». Mais, dans la circonstance, on ne peut pas parler d’un commentaire approprié.

Quelques années plus tard, dans les communautés fondées par Paul, il y a des couples qui se disputent. Paul leur recommande de se réconcilier, cependant, il leur dit : Si vraiment vous ne pouvez plus vivre ensemble, séparez-vous ! En faisant cette concession, il est bien conscient de contredire la parole de Jésus : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ». Et c’est pourquoi, voulant en tenir compte malgré tout, il ajoute : « Séparez-vous, mais ne vous remariez pas. »

Peu à peu, dans les communautés chrétiennes, va s’établir une véritable jurisprudence On en a un exemple dans la parole attribuée à Jésus à la fin du texte que nous avons lu : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle et si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. » Une telle phrase n’était pas possible en milieu juif, ou, je le rappelle, la femme n’avait pas le pouvoir de renvoyer l’homme, mais on voit bien dans quel sens évolue la doctrine qui commence à se mettre en place.

L’Eglise élaborera la doctrine de l’indissolubilité. L’idée est que le lien matrimonial subsiste, même si les époux se séparent, et rend donc ipso facto adultères ceux qui vivent avec un autre homme ou une autre femme.

C’est aujourd’hui un débat très difficile. Il faudrait une véritable conférence, et non un sermon, pour y entrer. Je voudrais seulement souligner combien la doctrine officielle est dans une impasse. En effet, que dit-on ? On dit : « Madame, quand vous étiez avec votre mari, vous étiez très malheureuse. Eh bien, c’était très bien. Aujourd’hui vous êtes avec un autre homme et vous êtes heureuse. Eh bien, c’est très, très mal ! » Je caricature à peine, mais c’est à exactement à cela que l’on aboutit. Et il faudra bien que l’Eglise sorte de l’impasse, tout en conservant la phrase décisive de Jésus : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ».

Je termine par une remarque. Quand il met en question, et radicalement, le pouvoir de l’homme de répudier sa femme, la parole de Jésus est libérante, elle est une parole de miséricorde : l’homme doit savoir pardonner à sa femme et la garder. Comment en ferait-on une parole de condamnation ? L’exigence de cohérence évangélique est d’abord là : dans la miséricorde. Amen