Homélie du Père Doumas

4 novembre 2021

Le texte que nous venons de lire est un passage majeur de l’évangile. On le trouve chez les trois synoptiques, chez Marc, Matthieu et Luc. Cependant, le lectionnaire ne fait lire que les textes de Matthieu, en année A, et celui de Marc, en année B. Il ignore, en année C, le passage correspondant de Luc. La raison, me semble-t-il, est que Matthieu abrège le texte alors qu’à l’inverse Marc le développe.

Dans les rencontres sur Marc, je mets à l’œuvre l’idée que Matthieu et Luc n’ont pas utilisé le texte de Marc, comme on le dit généralement, mais que Marc, Matthieu et Luc ont utilisé le même texte, que j’appelle « source synoptique » et que chacun, Marc, comme les deux autres, a aménagé à son gré. C’est particulièrement frappant avec ce texte sur le grand commandement. On peut même dire que c’est un passage qui prouve que Matthieu et Luc ne disposaient pas, pour rédiger leur propre évangile, du texte de Marc, mais d’un texte antérieur à Marc - que Marc aménage. Regardons de près !

A la base il y a une interrogation faite à Jésus : « Quel est le grand commandement ? » Vous êtes allés au catéchisme et vous savez, donc, qu’il y a dix commandements - ceux transmis à Moïse au Mont Sinaï. Mais, en fait, dans le judaïsme du temps de Jésus, il y en a 613 et du coup on éprouve le besoin de savoir ce qui est vraiment important.

Jésus répond en citant le Deutéronome : « Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ». Cette phrase est capitale pour un juif. Dès son réveil il la prononce et il la prononcera plusieurs fois au cours de la journée, et jusqu’à son coucher. Il n’est donc pas étonnant que Jésus la cite comme grand commandement. Cependant, immédiatement il ajoute : Le second est celui-ci : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Cette fois, c’est une citation du Lévitique.

Pour Jésus, le premier et le second commandement sont jumeaux. Pour lui, l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain sont indissociables. Dans sa lettre saint Jean dira : « Celui qui prétend aimer Dieu et n’aime pas son prochain est un menteur. »

Marc ajoute : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Mais, surtout, il développe la réaction du scribe. Il lui fait, d’abord, reprendre les deux commandements, puis le scribe ajoute : « Aimer Dieu et son prochain est plus grand que tous les holocaustes et les sacrifices. » Et Jésus commente : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. » Alors, c’est la conclusion : « Nul n’osait plus l’interroger. »

Répondre que l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont les deux grands commandements, qui, en fait, n’en font qu’un, est une critique de la pratique pharisienne qui a tellement le souci du détail. On se rappelle l’ironie de Jésus sur la dime à payer sur la menthe et le cumin. Et il y a, aussi, toutes les règles concernant le pur et l’impur. Mais, avec cette précision sur les holocaustes et les sacrifices c’est tout le culte du Temple qui est en question. Et cette fois, ce ne sont plus les scribes pharisiens qui sont visés mais les grands-prêtres, les maitres du Temple.

Le « sacrifice » n’est pas aboli en christianisme. Mais il ne s’agit plus d’animaux qu’on abat et dont on fait brûler la viande. Il s’agit de la vie même du chrétien. Selon la formule de saint Paul le chrétien offre sa vie à Dieu dans le service du prochain. Et ce sacrifice est un holocauste, un sacrifice de toute sa vie. Mais du coup l’idée même de « sacrifice » est redéfinie. Il n’évoque plus une destruction, encore moins une mort ! Le sacrifice chrétien est l’acte d’aimer.

Dans notre société, on tend à réduire l’amour au sentiment. Mais, « aimer » se conjugue au présent de l’indicatif actif. Aimer n’est pas seulement ce que l’on ressent, aimer est un acte en faveur de celui ou celle que l’on aime. Mais, avant d’être, un acte extérieur, aimer est un acte intérieur. Cette notion d’acte intérieur est très peu repérée. Elle est pourtant essentielle. Pour passer du sentiment à l’acte concret et pratique d’aimer, il convient que je produise en mon cœur des actes d’amour. Et, en christianisme, c’est exactement cela le « sacrifice ».

Si la mort de Jésus sur la croix est un sacrifice, ce n’est pas à cause de ses bourreaux romains ou des grands prêtres qui se moquent de lui, c’est parce qu’il produit intérieurement, du plus profond de lui-même, un acte d’aimer unique et universel, qui devient acte de salut. Alors, frères et sœurs, aimons ! Comme le dit l’affirmation biblique : « de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de toute notre force ». Aimons Dieu ainsi et, aussi, nos frères ! Amen.