Homélie du Père Doumas

23 novembre 2021

Jésus est assis en face du tronc, où l’on verse de l’argent pour le Temple. Il regarde les gens qui s’approchent, il les observe. On dirait bien qu’il s’amuse. Les gestes des uns et des autres, leur assurance ou leur hésitation, leur visage ou leur démarche, lui révèlent tant de choses de leur cœur. Et, puis, soudain, son visage se ferme. Des riches, avec ostentation, déposent leur argent. Ils se montrent, ils se font voir. La colère, alors, vient en Jésus. Comme les prophètes, comme Elie ou Amos, il va dénoncer l’hypocrisie. Mais, voici que s’approche une pauvre veuve …

Regardez-la arriver. Elle est toute menue, toute courbée. Elle s’approche doucement, à petits pas. Elle est devant le tronc. Mais, elle n’a pas besoin de mettre la main à la poche. Toute sa richesse tient dans une seule main. Alors, très discrètement, elle glisse deux piécettes dans le tronc, en évitant les regards. Elle a honte de donner si peu ! Et elle s’en va, aussi discrètement qu’elle est venue.

Jésus la regarde intensément. Tous les détails de son visage et de son vêtement, le moindre de ses mouvements, manifestent sa pauvreté et son amour. Elle donne tout ce qu’elle a et Jésus comprend tout ce qu’elle est. Et d’instinct, pour ainsi dire, il murmure aux disciples : « Amen, je vous le dis … »

Quand il commence une phrase en disant Amen, Jésus signale que ce qu’il va dire est très important, aussi important qu’une béatitude. Il murmure : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tout le monde. »

Contrairement à l’habitude, il ne laisse pas aux disciples le temps de s’étonner et de poser des questions. Immédiatement, il poursuit : « Tous ont pris sur leur superflu, mais, elle, a pris sur son indigence ; elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre. » Et à cet enseignement, il n’y a ni prolongement, ni commentaire. Tout de suite Jésus quitte l’esplanade du Temple.

Frères et sœurs, souvent dans l’évangile, Jésus a des paroles radicales. Mais, généralement, elles attestent l’incapacité de l’homme de les mettre en pratique. Récemment, nous avons lu le passage du jeune homme riche, qui ne peut se défaire de ses richesses pour suivre Jésus. Mais, aujourd’hui, avec cette veuve, c’est, en quelque sorte, le contraire. Jésus n’invente pas un comportement. Il le constate et en révèle la signification. Notons bien que Jésus ne dit pas aux disciples : « Vous aussi, faites de même ! » Il se contente de dire : « Elle a tout donné ».

A vrai dire, elle n’a pas « tout » donné. Il lui reste quelques menus biens, si pauvres soient-ils : sur elle ou chez elle. Mais, elle a « tout » donné de l’argent qu’elle avait et, ce soir, elle ne mangera pas ; elle n’aura pas de quoi acheter pour manger. Demain sera un autre jour.

Mais pourquoi, ce jour-là, donne-t-elle tout ce qu’elle a ? Pour enrichir plus pauvre qu’elle ? Mais, alors, les riches, si minime soit la part de leurs biens qu’ils donnent, donnent nécessairement plus qu’elle. Et pourquoi aider les pauvres en faisant encore plus pauvre une pauvre ?

En fait, le geste de cette veuve est mystique. D’abord, il est celui d’une pauvre qui dit qu’il y a encore plus pauvre qu’elle. En prenant sur son indigence, elle révèle que la pauvreté est sans fond et elle exprime sa solidarité - il vaudrait mieux dire : sa communion – avec tous les pauvres. Et, ainsi, elle se place sous le regard de Dieu. N’oublions pas que le tronc où elle glisse ses deux piécettes est celui du Temple. Et, de fait, ses deux piécettes faisaient d’elle une « riche » devant Dieu. Nous le savons, devant Dieu, seul le pauvre a dignité.

Frères et sœurs, devant un tel exemple, nous mesurons notre égoïsme, notre incapacité à donner et à être pauvre devant Dieu et pour nos frères. Aucun de nous, ce matin - même si la quête est un peu plus généreuse que d’habitude ! - aucun de nous ne donnera autre chose que de son superflu, et, sans doute, une petite part de son superflu. Cependant, ne renonçons pas à donner, ne cessons pas nos efforts de générosité, renouvelons notre regard sur les pauvres et engageons-nous dans la lutte contre la pauvreté.

Pour la quête, on ne s’approchera pas de vous avec une corbeille pour vous solliciter. On va faire l’inverse. Comme pour la procession de communion, vous vous lèverez, vous avancerez et vous déposerez l’argent dans la corbeille. Dans l’acte de communier, vous ouvrirez la main pour recevoir le Corps du Seigneur, là vous ouvrirez la main pour donner en faveur de son corps que sont les pauvres. Ces deux gestes sont inverses, mais il y a entre eux une cohérence profonde. Vivons-les ainsi ! Amen.