Homélie du Père Doumas

15 décembre 2021

Tous les évangiles commencent par présenter Jean Baptiste et décrivent son ministère. Luc insiste particulièrement sur le contexte historique. Il parle de l’empereur Tibère, du gouverneur Ponce Pilate, des princes Hérode, Philippe et Lysanias et il cite les grands prêtres Anne et Caïphe. Le surgissement de la Parole de Dieu, s’il est soudain et bouleversant, n’est pas hors de l’histoire. La Parole s’insère dans le temps et s’y enracine. C’est là une donnée capitale. Toutes les fois où sous prétexte de spiritualité les chrétiens ont été tentés par le retrait du monde cela a mal fini. Tous n’ont pas la vocation monastique !

Luc situe l’action de Jean-Baptiste dans la région du Jourdain. En effet, le baptiste a besoin d’eau pour baptiser. Mais, l’essentiel dans ce baptême n’est pas l’eau, même si par elle-même elle est très signifiante. L’essentiel est l’appel à la conversion. Et c’est en écho à la parole du prophète Isaïe : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. »

Cet appel à la conversion sera le thème central de la prédication de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à l’évangile ! » Et c’est sur la conversion que je vous propose de réfléchir.

On dit couramment que l’on se convertit de l’islam au christianisme ou du judaïsme au christianisme. La conversion est ainsi assimilée à un changement de religion. Mais dans l’évangile il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de se détourner de ses péchés : le baptême de Jean est « un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Quand on se convertit, on se détourne des péchés et on se tourne vers Dieu.

Ce n’est pas un changement d’opinion, quelque chose d’intellectuel. Mais un changement de vie, une transformation de sa vie. Cela se voit, cela s’entend. On fait le constat d’une conversion. Il n’est plus le même, elle a changé !

Certes, cela veut dire qu’on ne fait plus certaines choses, mauvaises et qui portent tort aux autres. On se détourne du péché. Mais, la décision de se détourner du péché ne vaut pas par elle-même, surtout elle n’a pas sa raison en elle-même. C’est parce qu’on aime qu’on lutte contre son orgueil ou son égoïsme. On désire plaire à celui que l’on aime, on désire faire du bien à celle que l’on aime et c’est pourquoi on se détourne du mal. Ainsi c’est parce que l’on se tourne vers Dieu que l’on se détourne du péché.

En définitive, la conversion est une affaire de cœur. Celui qui se convertit découvre Dieu, il vit une révélation. Il fait l’expérience que Dieu l’habite, que Dieu l’appelle, que Dieu le sollicite. Des hommes et des femmes ont cherché Dieu et ne l’ont pas trouvé jusqu’au moment où ils ont fait l’expérience que Dieu les cherchait. Alors ils se sont laissés trouver par lui. L’étape fondatrice de la conversion est que l’on cesse de prétendre à la connaissance de Dieu et que l’on entre dans le mouvement intérieur de celui qui nous invite à le connaître et à l’aimer.

On répète, assez souvent, la phrase de saint Jean : « Dieu est amour ». Mais on ne dit pas assez que Dieu est aimable. J’aime le chocolat parce que ça a bon goût. Eh bien, frères et sœurs, Dieu a du goût. C’est le sens intérieur qui l’expérimente. L’incroyant, celui qui n’a pas fait cette expérience, n’est pas nécessairement quelqu’un de méchant ou qui se satisfait des seuls biens matériels. C’est tout simplement quelqu’un qui n’a pas fait l’expérience du goût de Dieu. Si vous n’avez jamais mangé du chocolat, vous ne pouvez pas dire que vous aimez le chocolat ! Si vous n’avez pas expérimenté que Dieu a du goût, vous dites qu’il n’existe pas ! Je relève, au passage, que l’une des séquelles graves du covid est la perte du goût.

Ma comparaison avec le chocolat n’est pas si triviale que cela. D’abord parce que le chocolat, c’est quelque chose de vraiment bon ! Mais, surtout, parce qu’il y a cette réalité décisive du sens intérieur. Et que parler du sens intérieur, c’est décrire quelque chose d’essentiel. En permanence, nous expérimentons nos sens extérieurs : la vue, l’ouïe, l’odorat, le tact et le goût ! Mais nous expérimentons aussi la part tournée vers nous-mêmes de la perception des choses. On l’appelle l’esprit ou la conscience. C’est ainsi que nous gérons nos pensées et nos affects, que nous découvrons nos sentiments et c’est ainsi que nous organisons nos vies. Mais ce sens intérieur a plusieurs étages. Plus exactement plusieurs degrés de profondeur. On passe de la conscience à la conscience de soi et de la conscience de soi à l’introspection : à l’examen de son intériorité.

Les églises se sont vidées. Il y a de nombreuses raisons à cela, mais la raison la plus décisive est le manque d’intériorité. On en reste à l’extériorité, à la superficialité. Or, l’expérience de Dieu est intérieure. Il n’est pas à la surface pelliculaire de nos vies, mais dans la profondeur de nos cœurs. C’est là que l’on ouvre le paquet de chocolat, qu’on écarte l’aluminium et que Dieu a du goût !

En fait, il faut laisser Dieu prendre goût en nous. On n’avale pas immédiatement le morceau de chocolat. On le savoure. On laisse la saveur du chocolat faire son effet dans la bouche. Il en va, encore une fois, de même avec Dieu. Il faut lui laisser le temps de répandre sa saveur, de nous pénétrer de son goût !

Frères et sœurs, aujourd’hui Marion et Tom vivent une étape vers leur baptême. C’est celle de l’onction des catéchumènes. Au jeudi saint, l’évêque consacre le saint-chrême que l’on utilise pour le baptême et la confirmation, mais il bénit, aussi, l’huile pour les malades et l’huile des catéchumènes. C’est cette huile que nous allons utiliser. Elle signifie que Marion et Tom mènent le combat de la conversion. Car la conversion est, aussi, un combat, une lutte pour se détourner de ce qui est négatif en nous pour se tourner de manière délibérée vers Dieu.

Je ferai cette onction sur leur front et dans la paume de leurs mains. C’est le signe de ce combat. Mais, d’abord, levons-nous et proclamons la foi !