Janvier 2024 : « La Société de la neige et la Crèche Blanche »

29 mars 2024

La Société de la neige et la Crèche Blanche. Du christianisme individualiste à la réciprocité eucharistique 

Une heureuse coïncidence fait que nous marchons vers la « Crèche blanche » (Fête de la Présentation de Jésus au Temple, en Provence), en même temps que sort le film de J. A. Bayona « La société de la neige », baptisé aussi sur Netflix « Le cercle des neiges ». Mystérieusement les deux messages offrent à nos sociétés fatiguées et à notre église, (qui semble parfois plus suivre les pas de la société plutôt que de lui apporter les vitamines indispensables à sa santé), un ballon d’oxygène. La société de la neige semble être comme une nouvelle « entrée du vrai Dieu dans notre monde », une chandeleur là où on a le plus besoin !

« Société de la neige » plonge au cœur des événements tragiques de 1972, lorsque le vol 571 de l’armée de l’air uruguayenne, affrété pour transporter une équipe de rugby au Chili, s’est écrasé de manière dévastatrice au cœur des Andes. Sur les 45 passagers à bord, seuls 29 ont survécu. Bloqués au milieu des terrains impitoyables enneigés et glacés des Andes, ces survivants ont dû recourir à des mesures inimaginables pour se maintenir en vie. La foi étant le soubassement d’une telle résilience…

Dans une quête d’authenticité, le réalisateur J. A. Bayona a interrogé les survivants et les familles des victimes, tourné le film sur les lieux mêmes et utilisé les vrais noms de toutes les personnes impliquées… Plonger dans cette histoire captivante de survie, de résilience et d’indomptabilité de l’esprit humain est un phare pour notre société déboussolée. Les survivants se sont eux-mêmes portés garants de son exactitude et témoignent de leur passage d’une foi chrétienne plus au moins éveillée à une foi imprégnée du sens profond de la vie comme relation et comme don. En ce sens ce film est sans aucun doute à contempler comme un réveil, en ces temps pleins de morosité individualiste.

L’épopée des protagonistes dans l’exceptionnelle situation qu’ils ont vécue, est un signe très fort de la fécondité du christianisme, peu visible dans notre humus vital et culturel actuel. La boussole de nos sociétés est seulement orientée vers le nombril de la personne, et non vers son véritable intérieur. Cela semble être aussi le critère décisif de beaucoup de manifestations de la religion. La dignité de la personne se réduit souvent dans l’église d’aujourd’hui dans la recherche dernière du confort psychologique, de la satisfaction et de la bénédiction des « besoins sexuels », ou de la sauvegarde des acquis sociaux. Ne serait-ce pas le moment d’un vrai sursaut, « Susulto, disait le pape François à Marseille », vers la « réciprocité anthropologique » à laquelle la tragédie des Andes semble nous convier ? Dans la « crèche blanche des Andes » un phare beaucoup plus puissant que les premières impressions postérieures à la tragédie, n’était-il pas en train de s’allumer ? Le choc de devoir se nourrir de la chair des leurs amis pour survivre ne serait-il pas, au lieu d’un seuil scandaleux, un « dévoilement » une « aletheia/vérité » qui les menait et nous mène tous, plus loin vers le vrai sens d’une vie qui vaille la peine d’être vécue ? Celle que Siméon a découvert quand Jésus a franchi le seuil du temple ?

J’ai lu que l’un des survivants, catholique, s’est tourné vers sa foi pour briser le tabou de manger de la chair humaine pour survivre. « Le sacrement de la communion n’est-il pas que cela ? manger le corps de Jésus-Christ pour recevoir Dieu et la vie éternelle dans nos cœurs ? Nos amis étaient morts pour que nous puissions continuer à vivre. Nous étions obligés de nous nourrir de leur chair. Ce n’était pas un simple cannibalisme, mais un acte d’amour colossal ». Le film en mettant en avant ces scènes percutantes nous force à des réflexions essentielles.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » C’est la phrase eucharistique qui a finalement convaincu Liliana Navarro de se nourrir des corps de ses amis en raison du grand désir qu’elle avait de revoir ses quatre enfants. Gustavo Zerbino, un autre survivant, a déclaré : « Je crois en Dieu. Sur la montagne, sur cette montagne gigantesque, l’homme est nain. C’est si petit, tout dans l’esprit est relativisé et tu entres dans un état de contemplation qui rend la présence de Dieu très grande ». « Le Dieu que nous avons rencontré dans les Andes était un Dieu bienveillant qui voulait le meilleur pour nous. Nous avons demandé de la force à la Vierge Marie. Nous l’avons prié tous les soirs, toutes les nuits, pour ne pas nous endormir et mourir de froid. Nous lui avons demandé de la force, nous lui avons demandé la paix ». « Jésus eucharistie, le Corps du Christ, devenait évident pour nous jour après jour ». Quelque chose d’essentiel, de consacré, se manifestait. La réciprocité forgée du fait de devoir survivre par la chair des autres, n’est-ce pas la révélation du sens le plus profond de nos vies lorsque le Christ « pain donné » veut se donner en nous ? 

 PACO ESPLUGUES