Juin 2023 : “Que le voy a hacer si yo, nací en el Mediterráneo …”

29 mars 2024

“Que le voy a hacer si yo, nací en el Mediterráneo …”

La Méditerranée a toujours été une région de flux et d’échanges, ainsi que de conflits. Nous en avons traversé et en traversons beaucoup, certains de ses conflits nous concernent profondément. Ce carrefour géopolitique pose des questions problématiques éminemment complexes, source de véritables enjeux théologiques, le Pape François lors de la rencontre interreligieuse d’Abu Dhabi les a caractérisées de la façon suivante : « Comment pouvons-nous nous protéger les uns les autres dans l’unique famille humaine ? Comment cultiver une coexistence tolérante et pacifique qui se traduit par une fraternité authentique ? Comment faire prévaloir dans nos communautés l’accueil de l’autre et de ceux qui sont différents de nous parce qu’ils appartiennent à une tradition religieuse et culturelle différente de la nôtre ? Comment les religions peuvent-elles être des chemins de fraternité plutôt que des murs de séparation ? » Ces questions et d’autres encore ont besoin d’être abordées à plusieurs niveaux et demandent de profondément s’engager en terme d’écoute, d’étude et de inter-contextualité pour promouvoir des processus de libération, de paix, de fraternité et de justice. Voilà le sens des rencontres Méditerranéennes qui auront lieu à Marseille en septembre prochain. Pour le Pape François il s’agit de démarrer des processus, plutôt que de se retrancher derrière nos limites. Avec une lucidité réaliste, en dépassant la paralysie qu’engendre la peur . 

Pour atteindre cet objectif deux mouvements complémentaires sont nécessaires : un mouvement de « bas en haut » pour créer le socle qui permet le dialogue, un dialogue aiguillé par le sens de l’écoute et du discernement, fait de la pluralité des réalités humaines et historiques particulières, capable de prendre en compte toute la profondeur de l’humain en chacune des cultures de ses rives (De Algeciras a Estambul) ; et un mouvement de « haut en bas »- où "le haut" est celui de Jésus élevé sur la croix - qui permet, à la fois, de discerner les signes du Royaume de Dieu dans l’histoire et de comprendre de façon prophétique les signes de ’anti-Royaume’ qui défigurent l’âme et l’histoire humaine. C’est un processus qui permet - dans une dynamique constante - de confronter chaque entité humaine et de saisir quelle lumière chrétienne éclaire les plis de la réalité et quelles énergies l’Esprit du Crucifié et Ressuscité suscite, à chaque moment, ici et maintenant.

Le pape François disait à Naples il y a de ça quatre ans que la manière dialogique de procéder est la voie qui permet de faire naître un nouveau paradigme relationnel qui traverse les abîmes. Pour nous chrétiens, cela implique de nous placer comme "ethnographes spirituels" de l’âme des gens, pour dialoguer en profondeur et contribuer ainsi au développement de tous avec l’annonce de l’Evangile du Royaume de Dieu, dont le fruit est une fraternité plus élargie et inclusive. Le modèle doit toujours être celui des voies tracées par François d’Assise dans la Regula non bollata, précisément au lendemain de son voyage en Méditerranée orientale. Pour François, il y a une première manière par laquelle, simplement, on vit en chrétien : "Une manière est que les frères ne se querellent pas ou ne disputent pas, mais qu’ils soient soumis à toute créature humaine pour l’amour de Dieu et qu’ils confessent qu’ils sont chrétiens" (XVI : FF 43). Il y a ensuite une deuxième voie par laquelle, toujours docile aux signes et à l’action du Ressuscité et à son Esprit de paix, la foi chrétienne est proclamée comme manifestation en Jésus de l’amour de Dieu pour tous les hommes. François disait aux frères : « Prêchez l’Evangile ; si nécessaire aussi avec des mots ». Clé du témoignage du Christ ! DH11.

Ce dialogue est plus essentiel que jamais, car il permettrait de forger/tendre comme un vrai pont - historique, géographique, humain - entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. C’est un espace dans lequel l’absence de paix a produit de multiples déséquilibres régionaux et mondiaux, et dont la pacification, par la pratique du dialogue, y compris dans sa dimension théologique, pourrait au contraire grandement contribuer à amorcer des processus de réconciliation et de paix. D’après la Veritatis Gaudium les échanges théologiques dans notre contexte méditerranéen, devraient être solidaires de tous les « naufragés » de l’histoire. Nous sommes invités à nous rappeler de saint Paul et le chemin du christianisme primitif qui relie l’Orient à l’Occident. A Naples, tout près de l’endroit où Paul a débarqué , le Pape a décrit les épisodes de véritables crises que l’Apôtre a traversées , comme dans le naufrage au centre de la Méditerranée (Ac 27,9ss). Ce naufrage disait François « laisse présager celui de Jonas. Et Paul ne fuit pas, et il peut bien penser que Rome est sa Ninive. Il peut penser à corriger l’attitude défaitiste de Jonas en rachetant sa fuite ». Maintenant que le christianisme occidental a appris des nombreuses erreurs et crises de son passé, il peut retourner à ses sources pauliniennes en espérant pouvoir témoigner de la Bonne Nouvelle aux peuples de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud, en encourageant les populations de la Méditerranée à refuser toute tentation de « reconquête » et de fermeture dans son « identité ».Selon le Pape François « les deux naissent, se nourrissent et grandissent de la peur ». La descente aux enfers de Jonas peut faire naître une culture de la rencontre qui éclaire les angles morts, et qui transforme ainsi les naufrages en processus prophétiques de communion ! (Pas de Trinité sans l’abîme di don qui introduit dans l’Unité). Voilà pourquoi la rencontre de Marseille est un vrai challenge pour tous !

PACO ESPLUGUES