La loi et la foi

17 avril 2024

Entretien avec le père Bruno Gerthoux, archiviste et chancelier de notre diocèse qui a été nommé promoteur de justice adjoint par le Tribunal pénal canonique national le 5 décembre 2022.

Le Tribunal pénal canonique national TPCN est l’organisme de jugement mis en place par la Conférence des évêques de France, à la suite des résolutions prises durant les assemblées plénières des évêques en mars et novembre 2021. Créé après le rapport Sauvé, le TPCN bénéficie d’une compétence élargie.
Officiellement installé le 5 décembre 2022, le TPCN de la CEF est un tribunal pénal interne à l’Église catholique en France, qui traite des délits canoniques commis par des clercs (hors évêques) ou des laïcs. Destiné à remplacer, en matière pénale canonique, les tribunaux diocésains ou interdiocésains qui existent en France, sa compétence s’étend à tout le territoire national.
 

1. Quels liens entre le droit canon et la foi ?


"Le droit s’impose car nous sommes une société humaine. Parce que je suis un baptisé, ce droit s’impose à moi comme une nécessité vitale et me rappelle mes devoirs et mes droits. Cela s’inscrit dans une histoire : celle du Peuple de Dieu en pèlerinage vers la Jérusalem céleste.
Le droit permet de ne pas être isolé ni subjectif. Il nous permet d’être dans une démarche de synodalité, en Église."

 

2. Avons-nous une culture du droit dans l’Église ?


"Nous avions une culture du droit dans l’Église qui s’est émoussée. C’est propre à toute la société.
Si l’on se méfie du droit aujourd’hui, c’est qu’il est perçu avant tout comme une limitation de mes libertés. Or, tout au contraire, le droit canonique en particulier, a pour finalité de permettre la liberté en vue de la vie éternelle.
Dans le droit canonique, le droit de l’Église met aussi bien en avant les droits et les devoirs.
La finalité, la Loi suprême, c’est le Salut des âmes."

 

3. Quelles informations sur le travail de ce tribunal sont données au peuple de Dieu, en référence à la synodalité ?


« Cela relève de la compétence et de la responsabilité des évêques. Des difficultés peuvent être perçues en matière de communication dans un contexte de pression médiatique fort car la justice prend du temps. Ce temps est nécessaire pour assurer et garantir la justice, en effet, il ne faut pas oublier que le corolaire de la présomption de crédibilité d’une victime présumée est celui de la présomption d’innocence de la personne mise en cause. »

 

4. Quelles différences entre ce nouveau tribunal et ceux qu’il est destiné à remplacer ?


"Ce qu’il y a de nouveau dans ce tribunal c’est sa création au niveau national. Il y a des tribunaux diocésains et interdiocésains.
Le tribunal pénal est une instance créée pour tout ce qui concerne le contentieux pénal ordinaire (contre la foi et l’unité de l’Église, contre les autorités ecclésiastiques et l’exercice des charges, contre les sacrements, contre la bonne renommée et délit de faux, contre les obligations spéciales, contre la vie, la dignité et la liberté humaine).
Les abus sur mineurs par des clercs sont traités par le dicastère de la Doctrine de la Foi.
De fait, la matière pénale canonique, mal comprise, a été négligée pendant un peu plus de 40 ans, et la création de cette instance au niveau national a pour but de rendre sa juste place au droit pénal, qui est un devoir de charité aussi bien vis-à-vis des victimes, de l’Église que des délinquants."

 

5. Père, quelle est votre fonction au sein de ce tribunal ?


"J’ai été nommé promoteur de justice adjoint, nous sommes quatre.
Concrètement, en amont de tout procès pénal, nous recevons des signalements de personnes ne se sentant pas entendues. A partir de là, nous estimons la vraisemblance du signalement basé sur les faits, la crédibilité de la personne. Nous prenons aussi en compte les signalements anonymes.
Ensuite, nous prenons contact avec l’évêque qui demeure l’autorité judiciaire dans l’Église. Il mène une enquête préalable qui une fois terminée est remise au promoteur de justice pour avis sur les suites à donner. Cette procédure est nécessaire pour assister les évêques dans l’exercice de leur responsabilité, sur des sujets et des domaines délicats."

 

6. Pourquoi une instance interne à l’Église est-elle nécessaire ?


"Cette instance est une justice complémentaire au droit français. La justice ecclésiale ne se substitue pas à la justice civile.
Cette justice pénale est un devoir de Charité dans l’Église : envers les victimes, à l’égard du délinquant (s’amender, réparer) et pour l’Église dans la réparation du scandale car la communauté chrétienne est victime par contre coup.
L’opportunité de ce tribunal c’est aussi de permettre à une personne de prendre les moyens d’une objectivité minimale pour ne pas être à la fois victime et juge de la personne.
Il faut permettre la crédibilité du signalement s’il est légitime et préserver aussi la présomption d’innocence."

 

7. Le travail de ce tribunal peut-il éclairer l’articulation justice/miséricorde ?


"Comme je le disais, la finalité est celle du Salut des âmes. La miséricorde suppose la justice, ce n’est pas ignorer la justice.
« Va, et désormais ne pèche plus. » Jn 8, 11
Sous prétexte de miséricorde on a pu s’affranchir des exigences de la justice et cela cause encore plus de mal."

 

8. Nous entendons beaucoup parler des abus sexuels de clercs et religieux sur mineurs. Le rapport Sauvé donne-t-il un éclairage plus large sur la notion d’abus ?

 

"Sans diminuer la réalité des abus de clercs sur mineurs, nous avons besoin d’un éclairage plus large sur la notion d’abus.
Il faut prendre en compte que tout abus trouve sa source dans l’abus de pouvoir ou d’autorité. Cela doit nous conduire à un exercice toujours plus objectif et non moins humain et pastoral, de l’exercice de l’autorité. C’est aussi cela la vocation du droit canonique, à savoir permettre ce juste exercice de l’autorité.
L’abus de pouvoir détourne celui-ci de sa finalité propre, pour une réalité qui lui est étrangère, et la tentation est grande, ensuite, de pousser les limites, de voir jusqu’où il est possible d’aller."

 

9. Cela veut dire que nous devons tous être vigilants aux pouvoirs qui nous sont confiés ?


« Oui, et c’est vrai dans toute réalité humaine, aussi bien au niveau familial, associatif, professionnel, politique que religieux. Lorsqu’une personne exerce un pouvoir, est revêtue d’autorité ou accomplit une charge, elle doit prendre en compte qu’elle est au service d’un bien qui la dépasse, et au service duquel elle met toutes ses compétences et charismes. Le droit canonique est à cet égard très instructif, car il met en œuvre une forme d’exercice de l’autorité qui ne peut être réduit à aucun autre, où l’autorité d’une personne est toujours modérée par d’autres institutions. »

 

10. Quelle peut être la racine des abus dans la structure ecclésiale ?


« L’exercice subjectif du pouvoir fait que dans l’Église et dans tous les états de vie, celui qui est titulaire d’un pouvoir peut le confondre avec sa propre personne. Toute proportion gardée, c’est comme lorsqu’une personne va confondre les comptes de son entreprise avec sa caisse personnelle. En perdant le sens du droit au service du bien commun, on soumet l’exercice du pouvoir à une appréciation subjective. Et cette appréciation subjective a souvent été justifiée au nom de la pastorale. Or, sans droit, nous ne pouvons parler authentiquement de pastorale, et sans finalité pastorale, le droit canonique est vain. »

 

11. Le Cardinal Bustillo, dans la conférence de presse de l’Assemblée plénière de novembre 2023 disait : « la première mission de l’Église aujourd’hui c’est de se purifier ».
Le travail du tribunal participe-t-il à cette purification ? Si oui, comment à court, moyen voire long terme ? Qu’est ce qui doit être purifié, que signifie ce mot ?

"Le mot « purifier » me plaît à moitié, ou demanderait à être précisé. Ce qui est sûr, c’est que L’Église doit toujours se réformer, parce qu’elle est faite de pécheurs. L’enjeu est qu’il s’agit d’être toujours plus fidèle à l’Église et au Christ."