La trahison des pères, de Céline Hoyeau

1er mars 2022

« Un travail salvateur », est-il écrit en quatrième de couverture… C’est tout à fait l’impression que l’on ressent à la lecture de ce livre, fruit d’une patiente et longue enquête. Sans prétendre répondre de manière exhaustive à toutes les interrogations et incompréhensions suscitées par ce scandale de « la trahison des pères », ces abus commis par les fondateurs de communautés nouvelles, l’auteur apporte néanmoins

de précieux éclairages aussi bien historiques, théologiques, que psychologiques.

Tout d’abord dans le contexte de la crise post conciliaire, où les séminaires se vident, les curés défroquent, les paroisses ont perdu tout souffle spirituel, ces fondateurs apparaissent comme des phares dans la tempête, des repères stables en un temps où fleurissent toutes sortes d’opinions erronées, où chacun ne croit que ce qui lui chante…

Ainsi de nombreux jeunes en quête d’absolu, de vérité dogmatique, mais aussi sensibles à la vie intérieure, sont attirés par la beauté de la vie liturgique et la chaleur offertes par ces communautés.

Ces fondateurs vont alors peu à peu être considérés comme de véritables stars par des admirateurs fervents qui vont les conforter dans une image idéalisée d’eux mêmes, de sainteté et de modèle iconographique.

Mais d’icônes qu’ils auraient dû être en réalité, ils vont devenir idoles

et se comporter peu à peu en véritables gourous, s’appuyant alors sur la complicité de leurs disciples… à leur corps défendant.

Par ailleurs ces jeunes communautés, au faible encadrement juridique, ne bénéficient pas de la longue expérience des vieux ordres classiques. En effet, ceux-ci, conscients des dangers possibles d’abus spirituels inhérents à la haute valorisation de l’obéissance dans la vie religieuse, l’ont fortement encadrée. Notamment, comme le souligne Dom Dysmas de Lassus dans son ouvrage Risques et dérives de la vie religieuse, il y a un risque de confusion du fors externe et du fors interne quand le supérieur de la communauté est en même temps le directeur spirituel de ses ouailles, ce qui a été malheureusement bien trop souvent le cas dans ces communautés nouvelles.

Naviguant alors entre accueil chaleureux de certains évêques ou, au contraire, méfiance accentuée par la jalousie de certains autres, ces fondateurs vont se jouer de l’autorité ecclésiastique, elle-même fragilisée par un climat plus enclin à l’indulgence et à la tolérance qu’à une autorité hiérarchique et autoritaire datant du Saint Office de Pie XII (on est alors en période de transition : le droit canonique pénal est en pleine recomposition).

De sorte que ceux qui étaient les plus lucides sur les problèmes qui commençaient à surgir, sont restés dans bien des cas impuissants.

Reste à comprendre comment ces fondateurs ont eu tant d’emprise sur leurs victimes au point d’annihiler toute leur résistance à leurs abus spirituels et à leurs abus sexuels afférents…

L’auteur s’est penchée plus précisément sur le cas des frères Thomas et Marie-Dominique Philippe et de leur théorie mystique dévoyée ; « l’amour d’amitié », qu’ils ont hélas propagée auprès d’autres fondateurs comme Jean Vannier (l’Arche) Thierry de Roucy (Point Cœur), Ephraïm (Les Béatitudes) et bien d’autres…

Cette mystique est une forme de gnose qui, comme telle, est une doctrine cachée réservée à une élite, un petit cercle d’initiés qui se retrouvent autour du maître. La notion de secret alors très présente a eu pour conséquence d’enfermer les victimes dans le silence.

Cette doctrine cachée s’appuie sur l’idée qu’à certaines âmes privilégiées, il est donné une grâce particulière, celle de vivre une forme intégrale d’amour : le père spirituel, par ses gestes, fait sentir à celle qu’il accompagne l’amour de Jésus pour elle.
Il n’y a pas de péché, car ce qui est visé, c’est le désir de rejoindre la personne pour lui montrer qu’elle est aimée de Dieu.

Aussi l’intention étant pure, l’acte l’est aussi…Tartuffe n’est pas loin !

Rien de nouveau sous le soleil donc, mais de grands dégâts tant cette tartufferie a pris de l’ampleur…

Faut-il pour autant juger l’arbre à ses fruits et condamner en bloc ces communautés ?

Non, car s’il y a eu effectivement de grandes souffrances, il y a eu également une grande fécondité qu’on ne peut nier : de nombreuses conversions, de nombreuses vocations sacerdotales et religieuses, des œuvres humanitaires prolifiques etc…

Mais il faut préciser que si ces nombreux fruits furent bons, ils venaient en réalité d’un bon arbre - le Christ Lui-même - et non de ces fondateurs qui, prenant la place de Dieu dans les âmes, ont détourné à leur profit le charisme qui leur avait été confié, introduisant ainsi le ver dans le fruit .

C’est donc finalement un constat d’espérance et de foi : « c’est un ennemi qui a fait cela ».

Même si l’ivraie tente toujours de polluer le bon grain, n’ayons pas peur, car, on le sait, à la fin elle sera jetée au feu, et le mal définitivement vaincu.

Claudine DUPORT