Le mystère de la présence : Un enjeu synodal pour l’Enseignement catholique ?

1er septembre 2022

Mme Véronique Mathieu est professeure d’histoire-géo à la retraite, et bénévole au service du Parcours de Formation spécifique proposé par la Direction Diocésaine de l’Enseignement Catholique d’Avignon. Elle nous livre ici ses réflexions sur l’esprit qui a inspiré ce parcours.

En octobre 2020, au cœur de la pandémie, le pape François a re-lancé le thème de l’évènement mondial initialement prévu à Rome en mai, dont l’intitulé était « Reconstruire le pacte éducatif mondial ».
La parole du Magistère vient confirmer et nourrir la formation spécifique au caractère propre de l’Enseignement catholique mise en œuvre pour les futurs maîtres du diocèse d’Avignon depuis quelques années (Bloc-Notes, mai 2020 : "Former sur les chemins de l’Esprit Saint ?", p.11)

Une formation entre foi et culture pour une transmission du vivant

Dans son message vidéo du 15 octobre, après avoir constaté « que ce qui est en crise, c’est notre façon de percevoir la réalité et d’entrer en relation entre nous  », le pape souligne « que l’éducation est l’une des voies les plus efficaces pour humaniser le monde et l’histoire », ajoutant qu’il nous faut « avoir le courage de générer des processus qui assument consciemment la fragmentation existante et les contradictions que de fait nous portons en nous ». 

L’exercice du discernement est au cœur des processus et ce terme n’est pas neutre car il ouvre largement le champ du vivant.

Le métier de maître porte la responsabilité de l’instructionInstruire, c’est permettre aux alvéoles de l’intelligence de s’ouvrir et de manifester le contenu de ce qui est comme enfermé dans l’être. C’est une tâche enthousiasmante mais difficile dans laquelle les processus créatifs peuvent s’épuiser en fonctionnements mortifères.

Dans leur responsabilité professionnelle de transmission, il est essentiel que les maîtres connaissent tout ce qui est le formulable de leur métier, mais pour ce qui est de l’informulable, s’il est moins présent, peut-être que les élèves souffriront, ou qu’ils attendront, ou qu’ils iront le chercher ailleurs…

Le terreau de la formation proposée a été et demeure le désir du souffle de cet informulable tel qu’il peut s’inscrire dans une subsidiarité authentique pour aider à l’émergence dans le diocèse d’Avignon de ces « processus créatifs et transformants en collaboration avec la société civile » auxquels le Saint-Père appelle ; il ajoute que dans le processus, « un point de référence est la doctrine sociale qui, inspirée des enseignements de la Révélation et de l’humanisme chrétien, se présente comme une base solide et une source vive pour trouver les voies à parcourir dans la situation d’urgence actuelle ».

Au numéro 219 de Fratelli tutti, le pape François précise qu’« un pacte réaliste et inclusif doit être aussi un pacte culturel ». « Une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue » (Conseil Pontifical de la Culture). L’acception du mot culture comme la manière d’habiter, de vivre les relations et de construire une histoire est largement explicitée par le Concile Vatican II au numéro 53 de Gaudium et Spes. Ainsi, ce qui est en jeu est un être-au-monde, expression de notre présence de vivant. 

Si l’école catholique est un lieu d’appartenance à la mission ecclésiale, le réel des nombreux acteurs de la vie des établissements catholiques du diocèse n’est pas « à côté » d’une société caractérisée aujourd’hui par une composition multiculturelle et multireligieuse. 

Que peut alors signifier y exercer une profession de maître ?

Dans les promesses de ce réel, quelle base solide pour que les maîtres en exercice dans l’Enseignement catholique puissent déployer, personnellement et ensemble, leurs chemins comme portes d’entrée pour leurs élèves dans leurs propres voies ? Et quelle source vive pour nourrir une interrogation en profondeur de cet être-au-monde manifesté dans une culture ? 

Le petit d’homme a besoin d’entrer en vérité dans la question du sens pour grandir et avancer sur son chemin, mais dans quelle réalité de chair et d’os ce sens peut-il s’inscrire ?

Une formation à un métier de la présence

Année après année, le réel des participants à la Formation spécifique proposée par la DDEC d’Avignon (intervenants et futurs maîtres) a proposé un chemin de formation à un métier qui est par excellence celui de la présence.

Mystère qui est le trésor de la foi catholique, laquelle nous dit que « Le Christ Jésus … est présent de multiples manières à son Église », « mais au plus haut point sous les espèces eucharistiques » et que « cette présence, on la nomme ‘réelle’, non à titre exclusif, comme si les autres présences n’étaient pas ‘réelles’, mais par excellence parce qu’elle est substantielle, et que par elle le Christ, Dieu et homme, se rend présent tout entier » … Substantielle au sens de subtenere - se tenir en dessous.

Présence eucharistique que Saint Irénée de Lyon, récemment déclaré Docteur de l’Église - avec le titre de Docteur de l’unité, éclaire comme source vive : « Notre manière de penser s’accorde avec l’Eucharistie, et l’Eucharistie en retour confirme notre manière de penser ».

Mais qu’est-ce que la présence ?

Le poète et critique Roger Munier écrit : « Je dirai d’abord que c’est aujourd’hui ce qui nous manque le plus. Dans un monde objectivé, placé comme le nôtre sous l’emprise croissante de l’artifice, la présence n’a pour ainsi dire plus de lieu », avant de poursuivre : « Le sens n’a pas, comme d’aucuns le croient déserté le monde : il fait seulement corps avec lui. Il l’épouse en son épaisseur. Il est sa propre épaisseur transmuée … Ainsi la présence éprouvée vient irradier ce qu’elle assume, fermant le cercle du fini, lui donnant par instant, oui, ne fût-ce que par instants, comme un poids d’éternité ». 

Chemin paradoxal d’inconfort et de don que celui de la pandémie qui nous a plongés, personnellement et ensemble, dans l’interrogation du mystère de l’incarnation pour vivre la présence comme une base solide. 

Progressivement, tous les enseignements théoriques de la formation (anthropologie, christologie et ecclésiologie) se sont inscrits dans un dialogue entre foi et raison et ont été nourris par des ateliers proposant des entrées liées au monde de l’art.

Stefan Sweig explique lors d’une conférence en 1939 que « de tous les mystères du monde, celui de la création ayant toujours été le plus mystérieux, nations et religions furent unanimes à relier le processus créateur à l’idée du divin » et qu’ « il existe un domaine dans lequel il est parfois donné d’en faire l’expérience : celui de l’art  ».

Le mystère de la création artistique, traversé par les recherches de beauté, a une expérience avancée et réflexive des processus. Les langages artistiques peuvent traduire, de manière visible, un invisible existant et vivant qui regarde l’homme lui-même ; l’homme attentif est alors plongé dans le mystère du vivant où l’Esprit Saint peut déployer sa présence d’Alliance dans les chemins des hommes pour préparer le chemin du Seigneur.

Pas de création artistique sans désir et sans humilité ... artiste ou regardeur, on perd et on gagne ... et finalement s’ouvre un chemin d’humanité dans lequel la grâce à l’œuvre nourrit un « terrain » où peut advenir le vivant et dont la lecture peut fonder un agir créatif.

Créativité à laquelle le pape François encourage sans cesse et que Karol Wojtyla éclairait déjà ainsi en octobre 1940 : « En ce qui concerne cette flamme qui s’est allumée en moi, je crois qu’elle dépend étroitement de l’action d’une force suprême. Je sens que ce n’est pas un artisanat, c’est un élan. Je ne veux pas l’appeler directement l’œuvre de la grâce. D’ailleurs, tout est l’œuvre de la grâce, tout peut être l’œuvre de la grâce. Seulement il faut savoir, et avant tout il faut vouloir, collaborer avec cette grâce. La parabole des talents nous l’enseigne. Or je crois qu’il faut répondre à la grâce par l’humilité. Alors dans cette dimension la lutte pour défendre la poésie deviendra la lutte pour défendre l’humilité ».

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