Lourde session pour les évêques et toute l’Eglise !

13 novembre 2021

Comment réparer auprès des victimes ?

« (…) Lorsque nous nous sommes réunis mardi dernier, 2 novembre, surtout après avoir entendu les cinq personnes victimes qui ont accepté de se faire témoins pour nous, nous avons été à nouveau secoués et ébranlés au plus intime. Ce que la CIASE décrit n’est pas notre Église. Nous ne sommes pas devenus prêtres pour avoir part, même malgré nous, à des actes meurtriers. Nous ne sommes pas chrétiens pour entretenir un organisme dangereux pour les autres. Notre réaction à nous, évêques, a donc été : ce mal commis, ce mal existant, nous devons l’assumer. Nous devons l’assumer pour en libérer ceux et celles qui l’ont subi et pour en dégager l’Église afin qu’elle puisse être celle de Jésus de Nazareth. Nous ne pouvons plus nous protéger derrière le droit positif. Nous devons nous montrer les disciples et les serviteurs de Jésus, notre Seigneur, de celui « qui n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu mais qui s’est anéanti lui-même, obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix » (Ph 2, 5). L’un de nous l’a rappelé : notre justice doit dépasser celle des scribes, nous ne pouvons rester cachés derrière la justice de l’Etat, et moins encore derrière le droit canonique, il nous appartient d’aller au-delà dans un élan vers celles et ceux qui souffrent.

 

Nous avons reçu mardi dernier le témoignage exigeant de Francis, Guy, Brigitte, Jean-Luc et Véronique. Nous les remercions du fond du cœur d’avoir accepté de venir vivre avec nous ces jours d’assemblée. Nous avons été bouleversés de leur gratitude vendredi à midi et de leur émotion samedi. Nous n’oublions pas toutes les autres personnes victimes, celles qui sont connues et celles qui ne parlent pas. Nous les saluons humblement. Certains se sont étonnés que nous ne leur demandions pas pardon. Nos amis nous ont aidés à comprendre que nous avions du chemin à parcourir. Un évêque nous l’a dit avec force : à Dieu, nous pouvons toujours demander pardon et devant lui nous pouvons compter sur son pardon ; mais nous ne pouvons provoquer un être humain que nous avons offensé à nous pardonner. Sœur Véronique l’a rappelé samedi matin : la parole de pardon que Joseph, selon le livre de la Genèse, a dite à ses frères ne pouvait venir que de lui et elle n’a pu venir qu’au terme d’un long chemin de transformation intérieure de ceux-ci dont la première étape avait été qu’ils reconnaissent entre eux le mal qu’ils avaient fait à leur jeune frère.

Lorsque, vendredi matin, nous avons reconnu notre responsabilité institutionnelle et décidé d’engager un chemin de reconnaissance et de réparation ouvrant pour les personnes victimes la possibilité d’une médiation et d’une indemnisation, nous l’avons fait à cause de ce que la CIASE nous a mis sous les yeux et parce qu’elle nous a indiqué fortement ce chemin-là ; nous l’avons fait parce que des fidèles très divers, plongés dans la honte, l’attendaient de nous et nous l’avaient fait savoir fortement, parce que la société nous y sommait de bien des manières, mais nous l’avons fait surtout parce que nous avons senti le regard de Dieu sur nous, parce que nous avons senti monter en nous le dégoût et l’effroi en réalisant ce que tant et tant de personnes avaient vécu et vivaient de souffrances, là même où elles étaient en droit de recevoir la lumière, la consolation, l’espérance de Dieu. Nous l’avons fait en pensant à chacune et à chacun d’eux, à chacun de ces enfants, petits garçons, petites filles, adolescents, adolescentes, qui pleurent en secret dans le fond de leur âme et jusqu’au dernier jour de leur vie d’adultes. Nous en avons rencontré quelques-uns dans nos diocèses. Leur image nous habite, comme le symbolise désormais devant le bâtiment de notre hémicycle la formidable et terrible photographie devant laquelle je vous parle. Il était temps que nous franchissions ce pas. Il était attendu de nous depuis longtemps et la CORREF l’avait engagé. Nous avons franchi cette étape, en réalisant que, sans le vouloir, nous étions complices, nous laissions s’exercer des actes inqualifiables, nous passions du temps à faire des enquêtes, à lancer des procédures, à trembler en nous demandant ce que tel prêtre pouvait faire ou non, à redouter que quelqu’un se mette à parler encore, à recevoir des personnes victimes et à découvrir des taches nouvelles sur la réputation de tel prêtre ou tel laïc agissant dans l’Église. Il était de notre devoir de marquer nettement que nous ne pouvions pas supporter que l’Église soit cela. Nous l’avons fait parce que nous avons eu peur de manquer à Jésus.(…) ».

Extraits du Discours de clôture de l’Assemblée plénière de la Conférence des évêques de France, le lundi 8 novembre 2021