Novembre 2023 : "Face aux guerres : Pacifisme ? Un regard chrétien

29 mars 2024

FACE AUX GUERRES : PACIFISME ? UN REGARD CHRETIEN

 A l’occasion du centenaire de la naissance de R. Girard, nous avons vécu dans notre paroisse plusieurs événements autour de la pensée de ce grand avignonnais. Le mois prochain nous allons vivre deux journées mémorables : l’une autour du retour de sa dépouille dans sa ville, l’autre sera d’accueillir son énorme bibliothèque personnelle, qui sera déposée à la Bibliothèque Ceccano. Sa pensée semble être d’une particulière actualité justement dans cette époque de guerres, qui ne montrent pas de signes de pacification, mais justement le contraire, une espèce de montée croissante de la violence partout dans le monde. 

Souvent quand on pense à son œuvre, vient à l’esprit immédiatement sa constatation que la réciprocité humaine engendre systématiquement la violence. C’est le cœur de sa théorie mimétique et de celle du Bouc Emissaire. Mais René Girard est-il un auteur qui nous condamne au fatalisme de la guerre ou bien au contraire, nous pousse-t-il à une prise au sérieux de la guerre dans sa source anthropologique, pour mieux y faire face ? 

 Ses réflexions, comme je le disais dans la conférence, laissent mieux voir tant dans l’évangile que dans les lettres de saint Paul, le vrai regard chrétien « vers la paix ». Il nous empêche de rester dans le mensonge du pacifisme, pour montrer que l’anthropologie qui tient compte de la rivalité mimétique « universelle », (Saint Paul et R Girard coïncident) , dévoile mieux les moyens que le Christ offre à ses disciples, et à tous les hommes, pour être non précisément des « pacifistes » mais des artisans de paix, ce qui n’est pas la même chose.

 « Heureux ceux qui travaillent pour la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu », dit Jésus dans le Sermon sur la montagne. Et en une autre occasion, il dira qu’il n’est pas venu « apporter la paix, mais l’épée ». Mais qu’est-ce que cela signifie ? 

Par ailleurs, la nuit où il allait être trahi, Jésus adressa à ses disciples une phrase très énigmatique : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; Je ne vous la donne pas comme le monde vous la donne ». Pourquoi une distinction si nette entre la paix qu’il nous laisse et la paix que le monde nous donne ? Si nous analysons ensemble ces trois expressions évangéliques, il ne fait aucun doute que Jésus prône une paix qui n’est pas synonyme de la simple absence de conflits, mais plutôt d’une paix fondée sur la justice et la charité entre frères. Et l’on pourrait même conclure que, là où il n’y a pas de travail pour une telle paix, l’épée pourrait parfois, même être nécessaire. Ce qui est tout à fait incontestable, c’est que le Christ n’a jamais condamné la guerre (bien qu’il ne l’ait certainement pas approuvée non plus), mais qu’il l’a saisie, comme un fait existant.

 Il est également incontestable que le Christ ne considérait pas comme sa mission d’éradiquer les guerres (ni l’esclavage, ni l’argent, ni beaucoup d’autres calamités qui prévalaient dans le monde dans lequel il vivait), pas plus qu’il n’était venu pour éradiquer la maladie ou la mort. 

En retour, Jésus nous donne une série d’indications pour créer un Royaume de justice, de vérité et de charité dans lequel les hommes peuvent devenir frères et sœurs et tous enfants de Dieu, quand l’horizon de l’éternité n’est pas gommé. Ainsi, la pensée chrétienne n’a jamais condamné la guerre ou l’usage des armes lorsqu’elles sont utilisées pour rétablir la justice, contrairement aux idéologies pacifistes, qui cherchent souvent à établir la paix sans justice, rejetant tout conflit, parce qu’elles le considèrent comme une menace pour le bien-être atteint. Ce pacifisme peut atteindre une expression encore plus inique lorsqu’il cherche non seulement à établir une paix sans justice, mais qu’il aspire aussi à faire de l’injustice le fondement d’une paix perfide. C’est pourquoi Screwtape, le démon sournois ourdi par C. S. Lewis, rappelle à son neveu Wormwood, pour le « former » sur les stratégies à tenir avec les humains, qu’il lui fallait promouvoir la paix plutôt que la guerre : « En paix, explique-t-il, nous pouvons rendre beaucoup d’entre eux complètement ignorants du bien et du mal. Quand les hommes sont en danger, la question du bien et du mal émerge de telle sorte que même nous (les démons), nous ne pouvons pas les aveugler… »

 La tragédie de notre temps, c’est que la paix et la guerre sont toutes deux fondées sur l’injustice ou y conduisent. Voyant que les guerres étaient inévitables et que la « paix du monde » (une paix sans justice) pouvait paradoxalement être le plus grand des maux, la pensée chrétienne s’est efforcée de créer les conditions pour que l’on puisse parler d’une « guerre juste ». Ce n’est pas sans penser la guerre, dans la relation entre les pays et les personnes, mais justement en considérant les exigences de la guerre juste, qu’elle pouvait penser le travail « tragique souvent », mais toujours possible vers la construction de la paix. 

L’œuvre de R Girard, aussi avec toutes les précautions qu’il faut certainement tenir, pour en faire une lecture applicable aujourd’hui, elle est toute tournée vers les dynamiques relationnelles aveugles qui engendrent la violence. Ces dynamismes tendent à être gommés par les filtres d’une vision rationaliste (typique des Lumières), qui ne voit pas d’autre alternative à la guerre que le relativisme. Il dissout les chemins d’une possible communion en un amalgame d’individualismes solipsistes et ressentis qui sont une vraie usine à violences, chapotés par un pacifisme rêvé et toujours utopique (Chesterton)… Ce pacifisme tend à occulter la des sources qui l’engendrent. L’Eglise parfois prend cette voie du pacifisme désastreux. Paradoxalement le Christ nous invite à la vérité. On ne peut pas être des vrais « artisans de paix », sans travailler consciemment à ce qui se passe dans notre intérieur, et celui des autres, et aussi par rapport à Dieu. C’est là où se niche la guerre. Lire R Girard aujourd’hui, nous permet de mieux voir comment le Christ y fait face (Lc4). A sa suite, en saisissant les structures de la guerre, certes nous n’éviterons pas la tragédie, mais les « travaux » vers la vraie paix, chacun à son niveau de répercussion, pourront être effectifs !

 PACO ESPLUGUES