Portrait : Agnès Fèvre, du Liban au Vaucluse

15 décembre 2018

Agnès Fèvre et son époux reviennent en Vaucluse, après une année passée auprès de jeunes libanais, dans la plaine de la Bekaa.

Entretien avec Martine Racine pour l’émission « Pourquoi le taire ? » sur RCF Vaucluse

Comment s’est passée votre jeunesse  ?

Ma famille est chrétienne, catholique pratiquante. Malgré tout, j’ai eu une petite conversion, comme beaucoup de chrétiens je pense, ce qui, après l’enfance, leur permet de choisir leur foi.
J’ai fait des études d’assistance sociale et j’ai un peu rejeté la foi. En effet, mes camarades et amies avaient toutes les mêmes valeurs que moi sans forcément avoir la foi. Et cela m’a vraiment questionnée : quel est le plus de la foi si on peut faire de belles choses sans être croyant  ? C’est une réalité  !
Malgré cela, je gardais une envie de connaître Dieu et je savais au fond de moi que Dieu existait.

Au moment des JMJ de Rio, auxquelles je n’ai pas pu participer, j’ai fait une retraite à Lourdes pour ceux qui, justement, ne pouvaient pas partir à Rio. Et là, j’ai vécu une conversion, surtout par le témoignage des autres jeunes autour de moi qui vivaient leur foi de manière épanouie et joyeuse. Et je me suis dit que c’était à moi de choisir : évidemment on peut faire de très belles choses sans être chrétien, sans aller à la messe tous les dimanches, mais on est tous appelés à devenir saints et cela commence en essayant de suivre le Christ.
C’est ainsi que je suis retournée à l’église. C’est vrai que quelquefois on désespère de devenir saint comme les grands saints  ; mais, là encore, un ami m’a aidée en me disant qu’un saint, ce n’est pas celui qui ne tombe jamais, mais c’est celui qui, quand il tombe, ensuite se relève.

Donc pour vous, ça redevenait possible  ?

Tout à fait. Après ma conversion, je suis donc retournée à l’église et j’ai entrepris d’autres études en allant vers un Master en management humanitaire et social. Il s’agit d’une école à Angers qui s’appelle l’Ircom. Ce Master Pedro de Béthencourt accueille tous les niveaux, minimum Licence, des jeunes et des moins jeunes, de tous horizons.

Est-ce toujours pour de l’humanitaire  ?

C’est aussi pour des personnes qui visent plus le social, pour des postes à responsabilités dans l’humanitaire ou dans le social en France.

Comment vous sentiez-vous dans cette école  ?

J’ai beaucoup aimé les cours de philosophie et comme c’est une école chrétienne, il y avait aussi des cours de Doctrine sociale de l’Église. C’était très intéressant pour comprendre comment on peut être aidant, en gardant la dimension chrétienne de l’autre. Il y avait 3 options dans ce Master : économie sociale et solidaire, recherche de fonds, et la dernière pour laquelle j’ai opté : la logistique et l’urgence humanitaire.

Donc là, vous pensiez déjà partir  ?

Oui j’avais déjà le désir de partir, ce que j’ai fait dès mon stage de première année où je suis allée 4 mois en Jordanie. C’était essentiellement de l’aide matérielle auprès des populations défavorisées du nord, dans désert entre la Syrie et la Jordanie. Il y avait là des très très nombreux bédouins très démunis  ; on leur apportait des tentes, des chèvres, de quoi avoir quelques ressources pour vivre dignement.

Durant ce Master j’ai rencontré mon mari, et nous nous sommes mariés ensuite. Lui aussi a vécu une reconversion professionnelle un peu plus radicale que moi et on a cheminé ensemble pour savoir où on voudrait partir et c’est ainsi qu’on a voulu partir un an au Liban.

Qui vous a envoyés là-bas  ?

Nous sommes partis avec l’association Œuvre d’Orient. C’était la première année que cette association envoyait des volontaires. Et cela nous plaisait bien d’aller en ambassadeurs là bas, pour voir si cela correspondait bien à la vocation de l’Œuvre d’envoyer des volontaires.

Était-ce au moment de la guerre  ?

Non, c’était il y a un an  ; c’était relativement calme au Moyen Orient. Malgré tout, il y avait encore beaucoup de réfugiés. Nous, nous ne travaillions pas auprès directement des réfugiés, mais dans une école, et dans un foyer au service de jeunes libanais de milieux très populaires et très pauvres qui n’ont pas toujours accès à l’éducation.

Des jeunes en souffrance  ?

Oui en foyer , il y avait beaucoup de jeunes qui avaient des difficultés avec leurs familles qui ne pouvaient pas toujours payer leur scolarité  ; du coup, le foyer payait l’école pour ces jeunes-là.

Ce foyer était tenu par des religieuses  ?

C’est cela : la congrégation des religieuses du Saint Cœur . Ces religieuses sont présentes dans tout le Liban et là, elles tenaient l’école et le foyer, et accompagnaient les enfants au quotidien.

Et vous, que donniez-vous comme cours  ?

Mon mari enseignait le français et le sport et moi, le dessin et la musique. Mais mon activité principale était au foyer. Au Liban, les enfants finissent l’école à 14h et sont disponibles le reste du temps. Il y a beaucoup de devoirs à la maison et pour les enfants du foyer, il fallait les accompagner à apprendre leurs leçons, à faire leurs devoirs.
Et il y avait aussi les soirées avec une veillée tous les soirs avec des jeux que j’organisais. De même l’après-midi, j’organisais des activités, pour que les enfants ne tournent pas en rond  !

Vous arriviez à discuter avec eux  ?

Oui avec les plus grands. Le foyer accueille des enfants entre 5 et 12 ans. Les plus grands, avec qui j’ai pu discuter, ont une vision de l’occident assez erronée  ; ils ont peut-être vécu la mondialisation de manière brutale et ont eu accès très vite à tous les écrans. A partir de 6 ans quelquefois, les enfants ont un téléphone à eux. Ils ont accès à tout et en même temps vivent dans une société assez traditionnelle et en décalage avec ce qu’ils peuvent voir. Et donc, il y avait beaucoup d’interrogations de certains jeunes, et des sujets très tabous qu’ils n’abordent pas avec leurs familles, comme la vie affective, les problèmes d’argent. Je pense que, du coup, en parler avec eux a pu les aider.

En un an, ils ont pu vous connaître et apprécier ce que vous leur avez apporté  ?

Oui et c’est aussi frustrant de ne pas voir les fruits de notre travail immédiatement. On a sûrement planté des petites graines, après il faut du temps  !

Ils ont vu que les chrétiens de France ne les abandonnaient pas  ?

C’était vraiment le but, et ce que l’ Œuvre d’Orient essaie de faire à travers ses missions et le volontariat qu’ils mettent en place. On est des jeunes plein de bonne volonté, on ne peut pas déplacer des montagnes, mais on témoigne, à notre niveau, que les chrétiens de France ne les abandonnent pas.

Ils se souviendront de vous  !

J’ai reçu aujourd’hui encore des messages de sœurs et de jeunes qui nous disent qu’on leur manque. Il y a un lien qui s’est créé.

Mais cela vous a apporté beaucoup, j’imagine  !

Absolument. La plupart étaient chrétiens : chrétiens orthodoxes, syriaques, maronites. Ils ont une manière de vivre leur foi qui est très belle et qu’on n’a plus chez nous. Ils ont un sens de l’accueil extraordinaire, très touchant. Je me souviens de la famille d’une jeune qui était dans le foyer, famille très miséreuse, et chaque fois qu’on passait devant leur porte, cette famille nous invitait pour prendre un verre ou un café. L’accueil oriental n’est pas un mythe  !