Portrait : Soeur Bénédicte de la Croix

6 mai 2019

Sœur Bénédicte de la Croix est moniale à l’abbaye cistercienne de Blauvac. Après une jeunesse dynamique et studieuse, vingt années à enseigner la philosophie à des classes de terminales, cette passionnée de randonnée est depuis de nombreuses années dans ce monastère à l’est de Carpentras.

Entretien réalisé par Martine Racine pour l’émission Pourquoi le taire ?, sur RCF Vaucluse.

Comment avez-vous atterri ici ?

J’ai atterri ici en faisant des tonneaux avec une twingo ! Je suis une recommençante ; il y a vraiment eu une conversion radicale dans mon existence, un accident de voiture qui m’a montré que je pouvais tout lâcher en quelques secondes : l’enseignement, la randonnée, ma famille ! Je n’avais plus qu’à entrer au monastère.

Pourquoi ce monastère ?

Ce qui m’a conduit ici c’est la lecture des écrits de Frère Christophe, moine à Tibhirine, qui est maintenant bienheureux ; j’ai vraiment eu un coup de cœur pour ses écrits et j’ai voulu connaître sa famille spirituelle et je suis donc venue ici. Il était cistercien en Algérie et c’est la même famille ici à Blauvac ; de plus il dépendait là-bas d’Aiguebelle et nous dépendons, nous aussi, d’Aiguebelle. Puis j’ai découvert sa spiritualité à travers tout ce que ces moines ont vécu en Algérie, et j’ai découvert aussi les écrits de Frère Christian de Chergé, Et c’est devenu une passion.

Donc cela vous a rapprochée de Blauvac, et vous êtes venue voir ?

Oui, je suis venue voir mais je ne comptais pas du tout rester car je ne trouvais pas cela très intéressant. Mais Dieu est toujours à l’œuvre et petit à petit j’ai compris. C’était un peu la crise de la quarantaine ! Je suis entrée ici à 42 ans. Ma vie était riche et heureuse. Je pense que c’est un peu un coup de folie et j’ai tout lâché pour me consacrer à Dieu, pour retrouver notamment une vie de prière, ce qui est très important pour moi. C’était un retour à Dieu.

Expliquez-nous cette spiritualité !

J’aime bien dire que nous sommes des bénédictins dissidents ! En fait, nous vivons de la règle de Saint Benoît depuis longtemps puisque l’ordre a été fondé en 1058. Des moines se sont rendu compte que l’équilibre entre l’office choral et le travail n’était pas suffisant ; la pauvreté n’était pas toujours au rendez-vous chez les bénédictins et ainsi ils ont décidé de créer « le nouveau monastère » pour retrouver cet équilibre entre prière et travail, ce qui était d’ailleurs révolutionnaire car les nobles à l’époque ne travaillaient pas. Depuis, la présence d’un travail manuel marque toujours la vie cistercienne. Ici nous faisons des hosties.

Seulement des hosties ?

La fabrique des hosties est notre activité principale ; nous sommes le premier producteur de France.
D’autres sœurs ont d’autres ateliers : une sœur fait des chapelets, des croix, nous avons des biscuits que nous vendons au magasin.

Combien êtes-vous ici ?

Actuellement nous sommes 16 présentes en communauté, 2 sœurs sont en maison de retraite, une autre à l’extérieur ; nous avons la grande joie d’avoir un noviciat vivant car nous avons une postulante qui est d’Avignon, 2 novices et une jeune professe. Donc, par les temps qui courent, on ne peut que rendre grâce à Dieu. Et il est vrai que les plus jeunes apportent aussi des richesses qui sont celles de ce monde ; on le critique tout le temps, mais ce monde est plein de richesses, plein de vie et c’est un grand bonheur pour une communauté.

Vous êtes dans le silence ?

Nous, cisterciennes, avons une vocation qui est un peu paradoxale : nous avons une vie communautaire très forte, la communauté étant le point central de notre vie, mais nous avons aussi beaucoup de silence. La communication verbale représente 30 % de la communication. Nous communiquons par le corps, par le sourire, mais le silence est, c’est vrai, très présent ici ; il faut donc un peu avoir une âme de solitaire pour vivre ici.

Pourtant vous êtes ensemble !

Oui, on est ensemble mais avec du silence. C’est le paradoxe de notre vie, mais c’est le paradoxe de toute vie humaine : nous avons tous besoin de relation et nous avons tous aussi besoin de temps pour nous. Je crois qu’on vit cette tension avec bonheur.

Ce silence est habité ?

Oui car nous passons beaucoup de temps à la lectio divina, c’est à dire à la lecture de la Parole de Dieu ; ce n’est donc pas un silence qui est vide, creux. C’est un silence où on va pouvoir méditer la Parole de Dieu et donc être dans le cœur à cœur le plus constant possible avec le Christ. Le fond de notre vocation est que la prière devienne de plus en plus continuelle.

Combien avez-vous d’offices ?

Nous avons 7 offices dans la journée. C’est la grande prière liturgique de l’Église : le premier office (Vigiles) est à 4h et demie du matin, le dernier office est le soir à 20h (Complies) ; au cœur de la journée, l’Eucharistie. Tous ces moments sont pour nous relancer dans la prière, de sorte que petit à petit, nous devenions des femmes de prière, d’intercession pour le monde. Nous ne regardons pas la télévision, sauf événement exceptionnel comme la béatification en Algérie ; j’avais en plus la joie d’être à Oran, donc les sœurs étaient devant le poste de télévision.
En revanche nous avons une revue de presse presque tous les jours au moment du repas. En effet, nous mangeons en silence et avons la lecture ; nous essayons ainsi de porter dans la prière toutes ces intentions qui sont très concrètes. Il est important pour nous de ne pas prier dans le vague et cette revue de presse est capitale pour être au courant de ce qui se passe.

Et la nuit ?

L’office de Vigiles à 4h30 du matin est une prière de nuit qui fait passer des ténèbres à la lumière et qui reprend toute la dynamique du Christ qui est mort-les ténèbres- et qui va ressusciter -au grand jour- et donc, nous accompagnons tous les gens qui souffrent, qui sont en prison, qui sont dans les hôpitaux, dans des situations difficiles, afin qu’ils passent eux-mêmes des ténèbres à la lumière.

A notre époque, la prière est souvent oubliée !

Ça, c’est ce qu’on entend dire : les gens disent qu’ils n’ont pas le temps de prier et demandent comment prier. Je leur réponds que c’est simple : il faut prier. C’est comme quand on est au bord d’une piscine : si on fait les mouvements sur le carrelage, ce ne sera pas terrible ! Plongez, quitte à prendre la tasse ! La prière c’est pareil : adressez-vous à Dieu comme à un ami, comme à Celui qui est proche de vous, qui entendra ce que vous lui dites. Si vous avez des choses désagréables à Lui dire, dites-les Lui. Lui est toujours là, c’est nous qui nous absentons. La connexion est toujours là et c’est du haut débit ; Il est toujours présent et Il nous habite ; nous sommes des demeures de Dieu. Baptisé ou non baptisé, Il est notre Créateur. Je pense qu’il faut oser Lui parler de la manière la plus simple possible, Lui dire tout ce que vous avez sur le cœur ; vous pouvez vous attraper avec Lui, au moins, vous vous adressez à Lui. Et quand la relation est établie, petit à petit, elle devient comme une relation avec un ami qu’on a envie d’appeler, de lui envoyer un sms, de passer du temps avec lui. Avec Dieu c’est pareil, et au plus on a de relation, au plus on a envie d’être avec Lui.

Vous parliez des psaumes ?

Les psaumes, c’est la grande prière de l’Église. Souvent on nous demande comment nous pouvons chanter quelque chose d’aussi abominable, car il y a beaucoup de violence dans les psaumes. Et je réponds : Moi, je demande à Dieu de faire les choses ; moi, je ne vais pas fracasser mes ennemis mais je dis à Dieu : « Toi, fais ce que Tu as à faire ! ». Quand on voit aujourd’hui la violence qui est dans le monde, je crois qu’on peut présenter à Dieu ces cris de violence en Lui disant : « Même si moi je ne le vis pas, je sais qu’aujourd’hui des gens en Irak, au Congo, vivent ça et je te les présente, aide-les ! » Ces cris de souffrance ne sont pas les miens aujourd’hui, mais ce sont les souffrances du Corps du Christ, cette humanité qui est la sienne ; il y a des cris de souffrance et de louange magnifiques et on les fait monter vers Dieu.
C’est tout simple de prier : si vous savez parler à quelqu’un, si vous savez parler à votre ami, alors vous savez prier. Juste il faut oser, alors lancez-vous dans la piscine !

Est-ce que vous Le remerciez ?

Énormément ! Saint Bernard dit que le seul péché est le péché d’ingratitude, donc d’oublier ce qui nous est donné du matin au soir. Aujourd’hui le soleil brille, on a un ciel magnifique, je sais que je vais avoir à manger à midi, j’ai un toit sur la tête,,,tout ça, ce n’est pas un dû. On peut remercier Dieu pour toutes ces petites choses. Tout vient de Lui, tout remonte à Lui.
On oublie, en fait, qu’on ne s’est pas donné l’existence. La vie, on la reçoit et c’est un bonheur de pouvoir remercier le Créateur, être dans la louange. On n’occulte pas la souffrance mais on sait que la nappe phréatique n’est pas la souffrance : le Christ est ressuscité, Il nous a déjà sauvés ; à nous d’accueillir ce salut.

Il faut Le remercier le soir ?

Je dis souvent qu’au lieu de parler de tout ce qu’on a raté dans la journée, on doit penser à remercier Dieu pour tout qu’on a réussi, tout ce qu’on a reçu, et le sommeil sera alors paisible !

Sœur Bénédicte, vous êtes dans la joie ?

Oui, je crois que c’est un don que Dieu me fait. C’est une grande expérience de pauvreté car en fait la joie, on ne peut pas se la donner. On peut sauter, frapper des mains, mais la vraie joie profonde c’est don de Dieu et quand on goûté cette joie de Dieu une fois, on ne peut pas l’oublier et on sait que ce n’est pas nous qui la fabriquons : c’est un don de Dieu !

Je pense que vous n’avez plus le temps de faire de la randonnée ?

J’essaie de marcher tous les jours ; ce n’est pas la grande sensation de la montagne, mais je ne peux pas vivre sans la connexion avec la nature et j’avoue que je prie en marchant, avec mes pieds !

Vous faites de l’accueil ici au monastère !

Oui, je suis chargée particulièrement de l’hôtellerie, d’accompagner les personnes et les groupes. En effet, nous avons un accueil monastique : les gens peuvent venir faire une retraite individuelle, ou venir en groupe. Nous recevons aussi des stages, avec discernement : de cithare, d’icônes ; l’été, j’anime une session sur les écrits des moines de Tibhirine.

Tout le monde peut venir ?

Oui bien sûr, à partir du moment où on respecte quelques règles de vivre ensemble : croyants, non croyants, homme, femmes, mariés ou pas, on ne fait pas de discrimination car on pense que Dieu appelle tout le monde.

Et vous avez un magasin monastique !

Oui, dans lequel nous vendons des produits qui sont fabriqués à l’abbaye comme les biscuits, du nougat par exemples, et puis des produits qui viennent d’autres monastères. Souvent aussi, les gens viennent, apportent leur pique-nique, mangent dans le parc.

Et l’église ?

L’église est toujours ouverte de 4h30 à 20h ; je dis en riant qu’elle est chauffée, ce qui permet de venir prier tranquillement . Il y a un cahier où on peut venir déposer ses intentions de prière. Donc n’hésitez pas à venir prier dans notre abbatiale !