Serviteurs inutiles !

3 septembre 2023

Serviteurs inutiles !

 

 Nous connaissons cette expression tirée de l’Evangile, devenue pratiquement une expression courante. Toutefois, formulée ainsi, en titre de ce billet, elle pourrait apparaître comme une marque de mépris, voire une insulte. Cela me rappelle une expression que j’avais entendue à propos du prêtre, curé d’une paroisse : « ce n’est qu’un vacataire ! », mettant en valeur le service rendu, sans égard pour la personne. Or, ainsi que me le disait un ami et confrère : « serviteur inutile ! je peux me le dire à moi-même, mais je ne permets à personne d’autre ne peut me le dire ! ».

Dans le passage de l’Evangile (cf. Luc 17, 7-10), le Seigneur donne un exemple, impliquant les disciples dans sa réflexion : « Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? ». Il souligne par cet exemple, que d’une manière habituelle, dans les choses et réalités de ce monde, la reconnaissance n’est pas une évidence, encore moins un dû, pour autant, elle n’est pas illégitime, et cependant rien ne justifie l’ignorance ou le mépris. Ainsi, si le serviteur a accompli son devoir, il est juste et légitime qu’à son tour il prenne son repas. Dans ce passage, les disciples sont à la place du maître qui s’adresse à son serviteur.

La conclusion de cet exemple renverse la situation : « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs (selon les traductions : simples serviteurs, serviteurs inutiles, serviteurs quelconques) : nous n’avons fait que notre devoir.” ». Le disciple est alors à la place du serviteur, et c’est lui-même, le serviteur, qui doit se juger comme un simple serviteur. Nous comprenons aussi combien, la première reconnaissance du serviteur est dans le service qu’il accomplit, dans la confiance qui lui ai faite et sa persistance.

Toutefois, comment ne pas mettre ce passage en lien avec un autre « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître  » (Jn 15, 14-15). De fait, pour ce qui concerne notre vie de foi, nous ne pouvons simplement transposer et se contenter de ce qui se vit dans la société : ce serait inadapté et réducteur. Et là, nous voyons combien l’amitié de l’ami devient la reconnaissance qui comble le serviteur. Un autre passage exprime encore cette reconnaissance lorsque le maître « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25, 23). En ces deux passages qui complètent le précédent, la reconnaissance du maître n’est pas absente – au contraire -, et l’attente du simple serviteur, inutile ou quelconque, est comblée au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer ou espérer.

Au fond, ce qui va nous permettre d’être d’authentiques serviteurs, d’une certaine manière, c’est cette reconnaissance gratuite, inattendue et pleine de tendresse, une reconnaissance moins pour le service accompli que pour la personne qui s’y consacre, une reconnaissance qui n’est pas intéressée par la production ou l’efficacité, mais qui encourage, fortifie et met en valeur la personne : «  tu as du prix à mes yeux, tu comptes beaucoup, et je t’aime » (cf. Is. 43, 4).

J’en ai fait souvent l’expérience, il n’est pas toujours facile d’exprimer sa reconnaissance à une personne, parfois par pudeur ou par étourderie, parce qu’on n’y a pas pensé, trop souvent par orgueil, vanité ou jalousie. Pour ma part, j’aimerais qu’elle soit pour moi comme une vertu, une bonne habitude, de savoir être reconnaissant et de l’exprimer avec des gestes ou mots justes. En tout cas, chaque fois que j’ai pu le faire, j’ai constaté combien la personne, loin de s’enorgueillir, s’obligeait encore plus à être ce simple serviteur, inutile ou quelconque, dans une joie débordante.

 

Abbé Bruno Gerthoux, curé