Vu d’ailleurs : un diocésain à Jérusalem

23 avril 2010

Le Père Emmanuel Berger, prêtre diocésain actuellement en année sabbatique à Jérusalem, nous partage ce qu’il vit en Terre Sainte. Retour sur l’entrée en Semaine Sainte en ces lieux symboliques...

Chers amis,

A la veille de Pâques, voici quelques rapides nouvelles.

Pendant plusieurs jours de grosse chaleur, 30°, autour du 15 mars, quel bonheur pour l’odorat que ces parfums d’orangers et de citronniers en fleur ! Quelque chose d’indescriptible, à la fois d’une très grande force et d’une extrême finesse, envoûtant et apaisant, entêtant et fugitif. Depuis, le retour d’un peu de fraîcheur (20°…) a diminué le phénomène.

Ces semaines ont été marquées par la rencontre de plusieurs amis venus en pèlerinage. Rencontres si inattendues parfois. Que du bonheur ! Tout est grâce, tout est cadeau reçu de Dieu, dans les épreuves comme dans les difficultés.
Beaux moments aussi de vie sacerdotale que d’être invité par tel ou tel pèlerinage à aider pour des soirées de confession.

Le Carême ici est marqué par l’équivalent de ce qu’on appelle à Rome les "stations". Chaque mercredi, les Franciscains célèbrent la messe de manière solennelle dans les différents lieux de la Passion. Il s’y presse beaucoup de monde des communautés chrétiennes présentes en Terre Sainte. J’ai pu participer avec action de grâces aux messes dans les chapelles de la Flagellation et du Litostrothos : chants grégorien (Kyriale et propre), chants "franciscains" en latin ou en italien, grande homélie. Et un accueil si fraternel des uns pour les autres. On voit qu’entre chrétiens de Jérusalem, tant laïcs que religieuses, prêtres et patriarche, tout le monde se connaît, ou à peu près.

Le dimanche 21 mars, nous nous sommes mis d’accord à quelques-uns pour aller passer la journée à Béthanie : magnifique journée, avec un temps radieux et si calme. L’Evangile parle d’une demi-heure de marche (Jn 11,18), mais aujourd’hui, avec le fameux Mur de Séparation, il faut 1h15 de à l'aller comme au retour (sans compter les aléas du passage au check-point !).
Nous étions 7. J'étais le seul à y être déjà allé. Donc, tout neuf pour les autres. Accueil très fraternel des franciscains de là-bas.
Nous avons célébré la messe dans le sanctuaire, dans la petite chapelle du temps des Croisés. Nous avons pu prendre tout notre temps, méditer, échanger, sans bruit ni passage de touriste. Visite de la tombe de Lazare, puis quelques courses de falafels (sandwich avec boulettes de viande ou de pois chiches, accompagnés de salades, tomates, homous…) avec toujours cet éclatant sourire et cette exquise gentillesse de la population palestinienne. Les frères franciscains nous ont laissé pique-niquer dans le parc (fermé entre 12h et 14h), et nous ont laissé l'église ouverte. Nous avons pu ainsi méditer longuement, pendant 2 bonnes heures, chacun en silence et à sa manière, avant de revenir tous ensemble. Si bel endroit de paix et de calme. On comprend que Jésus ait aimé s'y retirer, à l'écart des tensions de la Ville.

Le Mardi 23 mars, visite de "l’Esplanade des Mosquées" (appellation musulmane) ou "Mont du Temple" (appellation juive). Visite dans le cadre des cours de l’Ecole Biblique, avec un des représentants de la hiérarchie musulmane locale.
Moment extraordinaire
, d’une part en raison de ce que nous avons entendu de la bouche même de ce responsable sur la manière dont les musulmans voient les chrétiens : à maintes reprises, il a parlé de "nos frères les chrétiens"… mais il nous a aussi "appris" des tas de choses sur notre religion… comme le fait que (selon lui…) tous les chrétiens se tournent vers la Mosquée d’Omar pour prier, et que c’est bien le signe que les chrétiens sont des musulmans qui s’ignorent… Cette Esplanade des Mosquées est le 3e lieu saint de l’Islam après la Mecque et Médine, avec des enjeux historiques, théologiques et politiques de tout premier ordre… Oserais-je dire que "l’inculture religieuse" des "hauts responsables" musulmans de ce lieu a de quoi laisser rêveur… !
Mais moment extraordinaire, d’autre part, par le fait que, accompagnés par ce responsable, nous avons eu le privilège de rentrer dans les deux mosquées d’Omar et de El-Aqsa, ce qui n’est plus accordé aux touristes depuis de longues années (il y a presque 20 ans, en 1991, nous pouvions encore y rentrer).
La Mosquée d’Omar est construite sur l’emplacement du sacrifice d’Isaac (Gen 22), sur l’aire d’Arauna le Jébuséen (dans l’histoire du recensement demandé par David à la fin de sa vie – 2Sam. 24), et surtout sur l’emplacement du Temple de Salomon, reconstruit après l’Exil, puis agrandi par Hérode le Grand, et détruit définitivement par Titus en + 70.
Après cette destruction, les chrétiens n’y ont jamais touché, tant et si bien que les musulmans, en arrivant à Jérusalem en 638, ont trouvé table rase, et ont eu toute facilité de construire leur grande mosquée, sur le plan exact des basiliques octogonales des chrétiens byzantins (il y a de nombreux exemples de ces basiliques byzantines ici en Terre Sainte, à Césarée, au Mont Garizim, à la Kathisma…) et avec les décorations de mosaïques typiques de l’époque (cf Ravenne, ou Rome, à Ste Praxède ou Ste Pudentienne par exemple). Dans les décorations des boiseries, surprise de trouver un copier-coller absolu des grappes de raisin et feuilles de vigne, ainsi que des palmiers qui ornent la cathédrale d’Apt en l’honneur de Ste Anne !
La Mosquée d’El-Aqsa fut transformée en grande église (à 11 nefs !) tout le temps de la présence des Croisés. Il reste aujourd’hui 7 nefs, et des décorations d’une finesse extraordinaire.


J’avais suivi la Session d’automne organisée par l’ECCE HOMO / Sœurs de ND de Sion sur les fêtes d’automne. Je me glisse maintenant dans différents cours sur les fêtes juives de printemps organisés par la même communauté, à savoir essentiellement "Pessah", ou "Pâques"
C’était hier soir (Lundi Saint 29 mars au soir) le 14° jour du mois de "Nisan", jour de la pleine lune, le grand soir de la fête de Pessah pour les juifs, selon les textes d’Exode 12 que nous relirons, nous chrétiens, dans la grande liturgie du Jeudi Saint (1° lecture de la Messe de la Cène). Les 4 conférence sur les racines bibliques, la liturgie de l’Ancien Testament et la célébration juive actuelle de cette fête ont été pour moi des heures merveilleuses. Pas tellement comme découverte (puisque nous sommes nous chrétiens bien habitués à parler de cette fête, accomplie en plénitude par le Christ), mais comme déploiement de tant d’harmoniques bibliques, humaines, sociales. Oui, vraiment, notre Christ Bien-Aimé peut accomplir toutes choses, parce qu’il a précisément son enracinement dans le temps, le peuple, l’histoire du monde juif.
Ainsi donc, hier, "14 Nisan", le peuple juif, par familles entières, par quartiers entiers, dans une dimension collective et populaire que nous serions bien inspirés de retrouver sans fausse honte, bref, tout le monde nettoie et purifie sa maison de tout levain et pâte fermentée. Tout ce qu’on trouve de tel est brûlé dans de grands feux à différents endroits de la ville, sur les placettes ou les terrains vagues. Et le soir, tout le monde se retrouve en famille pour le grand repas rituel de la Pâque : la famille est le premier lieu de la liturgie juive. Le rôle du père est premier. C’est lui qui suscite les questions c

hez ses enfants, c’est lui qui raconte le pourquoi et le comment de la fête, avec toute l’histoire des Egyptiens et de l’Exode. Le repas rituel ("Seder") est parfaitement codifié depuis des siècles (depuis le 3e - 4e siècles, suite à la disparition du Temple, et donc aussi du sacrifice de l’Agneau). En l’absence de l’Agneau, l’accent a été mis sur les pains azymes et les herbes amères, sur le jeu des 4 coupes de vin, sur l’enseignement et les prières d’action de grâces et de louange (particulièrement le "Hallel", les Psaumes 112 à 117).

 

Comment ne pas vous parler de la fête des Rameaux  !

J’ai commencé la journée avec quelques amis sur l’Esplanade du Temple (sans rentrer dans les Mosquées… puisque cette fois-là seuls entre nous). Nous avons relu les discours de Jésus au Temple le jour des Rameaux et les jours suivants (Mathieu 21 à 23 – Jean 12). Puis nous avons continué jusqu’à l’endroit appelé "Dominus flevit", sur la pente du Mont des Oliviers, face au Temple, pour la suite des discours du Mardi Saint (Mathieu 24 et 25).

Nous avons continué la grimpée (toujours aussi raide !) du Mont des Oliviers, pour arriver, presque sur la ligne de crête, chez les Sœurs Bénédictines, qui m’avaient invité depuis longtemps à célébrer chez elles les Rameaux (et le Triduum Pascal). Entouré de bien des amis, et entre autres de nombreux membres de la communauté des Béatitudes, j’ai pu célébrer la Procession des Rameaux dans le jardin des Sœurs : quelle merveille – et quelle émotion - de chanter l’Evangile de Béthanie, de Bethphagé et de Jésus arrivant "sur la pente du Mont des Oliviers" sur les lieux même, face à l’Esplanade du Temple, puis de processionner dans ce jardin exquis (vraiment jardin "de bonne sœur" !) jusqu’à l’église du Monastère pour la suite de la Messe.
A l’heure du repas, elles ouvrent largement leur jardin à beaucoup de chrétiens venus pique-niquer là pour être sur place pour la grande Procession de l’après-midi.
14h30 : tous les chrétiens de Terre Sainte se donnent rendez-vous. Les chrétiens palestiniens des Territoires occupés ont une autorisation spéciale pour venir à Jérusalem ce jour-là. Que de costumes, de drapeaux des paroisses, de petits scouts et guides de toutes les couleurs. J’ai retrouvé des Carmes de Haïfa (Mont Carmel), des gens de Bethlehem, de Taybé, etc. Foule immense, étoffée des communautés religieuses présents en Terre Sainte et de bien nombreux pèlerins.


On se retrouve tous à Bethphagé (500 m. en arrière du Mont des Oliviers, donc tout près de chez les Sœurs Bénédictines, et du Carmel voisin "du Pater").
A combien estimer la foule ? de ce que j’ai pu voir, je dirais entre 5000 et 10000, mais à aucun moment je n’ai pu avoir une vue générale de l’ensemble… mes chiffres sont sans doute un minimum…
Départ vers 14h30 pour se rendre non pas au "Temple" devenu "Mosquées", mais à Ste Anne, propriété chrétienne (et territoire français) le plus proche du Temple. En temps ordinaire, il faut environ 30 minutes. Mais nous mettrons 3 heures.


Chaque groupe chante dans sa langue. Chante, et danse aussi. Les "Hosanna" et les "Jérusalem" fusent particulièrement sur le tronçon d’où on a une si belle vue sur la Ville et l’Esplanade, ainsi qu’en passant les Portes des remparts de la ville. En arrivant dans les jardins de Ste Anne (tenus par les Pères Blancs), et en attendant le Patriarche, qui est en fin de Procession, la foule se met à danser en l’honneur du Christ, au son de musiques bien "d’aujourd’hui" jouées par les scouts, avec force batterie, trompette et cornemuses !

 


Joie, gaîté, ferveur, prière bruyante, mais si intérieure en même temps
. Sans l’ombre d’une revendication ou de violence quelconque. Dans son homélie de clôture, le Patriarche fera remarquer que ces (ses…) foules chrétiennes d’aujourd’hui rentrent dans Jérusalem "sainte et martyrisée" comme Jésus : sans arme ni violence… par contre, Jésus lui, avait pu rentrer à Jérusalem sans Mur de séparation, sans check-point et sans contrôle d’identité…


Moment étonnant pour finir, dans la seconde même de l’Amen qui suit la bénédiction finale du patriarche, reprise de la musique techno et des danses !!! Transition stupéfiante pour les occidentaux que nous sommes ! Et ensuite, la dispersion de la foule est l’occasion de nouvelles "processions", informelles, dans les ruelles de la Vieille Ville ! Quelle joie, et quelle ferveur !
Atmosphère indescriptible, dont les photos ne peuvent rendre ni le son ni le mouvement !


 
Bonne Semaine Sainte à tous.
Encore Merci au Seigneur de pouvoir vivre tout cela sur les lieux mêmes des évènements. Je vous porte tous dans la prière et l’intercession.


Père Emmanuel Berger

Photos : Frère Nicolas-Jean