Changer le Notre Père, pourquoi ?

24 octobre 2017

La formule « Ne nous laisse pas entrer en tentation » du Notre-Père entrera en vigueur à partir du 3 décembre 2017.

Explications de la Conférence des Evêques de France.


Le Notre Père

Cette prière vient de l’Évangile de Matthieu (Mt 6, 9-13) et il en existe une autre version, plus brève, dans l’Évangile de Luc (11, 2-4). C’est à partir de ces deux textes qu’a été composée la prière du «  Notre Père  » que nous connaissons aujourd’hui..
Deux mille ans plus tard, en français ou en latin, en chinois ou en l’une des innombrables langues humaines, des enfants, des hommes et des femmes, redisent ces mots prononcés par Jésus lui-même, dans sa langue.

Après l’adresse à «  Notre Père qui es aux Cieux  », Jésus met sur nos lèvres sept demandes. Quatre expriment nos besoins fondamentaux : la révélation et la sanctification du nom de Jésus en tous et par tous  ; l’accomplissement de son Royaume de paix, de justice et d’amour  ; le désir de Dieu qui est le vrai chemin du bonheur  ; la nourriture qui nous fera marcher vers son Royaume.
Toute notre vie entre dans ces demandes.

Trois autres marquent notre combat contre le Mal : le pardon reçu qu’ouvre le pardon donné  ; l’aide pour refuser la tentation  ; et, enfin, la délivrance de l’auteur du péché, le Mauvais.
Nous sommes tous confrontés à ce combat  ?

Le Notre Père est école de prière quotidienne, simple et accessible. Elle peut l’être si notre vie devient petit à petit vie entre les mains du Père. Recevons-le, disons-le, prions-le avec foi, espérance et charité, dans le souffle de l’Esprit qui fait vivre, nuit et jour, les disciples de Jésus. Pour cela, n’oublions pas de Lui dire humblement : «  Seigneur, apprends-nous à prier  », comme les apôtres l’ont demandé eux-mêmes à Jésus.

La nouvelle traduction

«  Ne nous soumets pas à la tentation  » devient «  ne nous laisse pas entrer en tentation  ». La décision de modifier la prière du Seigneur n’allait pas de soi : d’abord parce qu’elle est la prière la plus mémorisée par les fidèles, ensuite parce que la traduction en usage a fait l’objet d’un consensus oecuménique. Il fallait donc de sérieuses raisons pour ce changement.

Fidélité au texte grec

Il faut d’abord dire que ce verset est très complexe à traduire. Les exégètes estiment que derrière l’expression en grec du texte de Mt 6, 13 et Lc 11, 4 se trouve une manière sémitique de dire les choses. Aussi, la formule en usage depuis 1966, «  ne nous soumets pas à la tentation  », sans être excellente, n’est pas fautive d’un point de vue exégétique. Mais il se trouve qu’elle est mal comprise des fidèles à qui il n’est pas demandé de connaitre les arrière-fonds sémitiques pour prier en vérité la prière du Seigneur. Beaucoup comprennent que Dieu pourrait nous soumettre à la tentation, nous éprouver en nous
sollicitant au mal. Le sens de la foi leur indique que ce ne peut pas être le sens de cette sixième demande. Ainsi dans la lettre de Saint Jacques il est dit clairement : «  Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : « Ma tentation vient de Dieu », Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne  » (Jc 1, 13). D’où la demande réitérée d’une traduction qui, tout en respectant le sens du texte original, n’induise pas une fausse compréhension chez les fidèles.

Fidélité à l’esprit de l’Evangile

Cependant le problème n’est pas qu’une question de mots. La difficulté est celle d’exprimer et d’entrer dans le mystère de Dieu dans sa relation aux hommes et au monde marqué par la présence et la force du mal. Le récit de la tentation de Jésus est éclairant. Il nous est rapporté par les trois Évangiles de Matthieu, Marc et Luc, et toujours selon la même séquence, aussitôt après le baptême de Jésus dans le Jourdain. Jésus vient d’être manifesté comme le Messie et le Fils que Dieu donne à son peuple, celui sur qui repose l’Esprit Saint.

Puis, conduit par l’Esprit, Jésus part au désert où il sera tenté par Satan. Le baptême inaugure son ministère, et l’Esprit qui demeure sur lui le conduit d’emblée au lieu du combat contre le mal. Ce combat, il le mène en délivrant les hommes de la maladie, des esprits mauvais et du péché qui les défigurent et les éloignent de Dieu et de son royaume. Cependant, au début de ce ministère, Jésus va livrer combat avec le tentateur lui-même. Combat redoutable, car c’est au coeur même de sa mission de Messie et de Sauveur des hommes, de sa mission de fils envoyé par le Père, que Satan va le tenter.

Une décision pastorale

On le voit, il ne s’agit pas ici simplement de l’épreuve à laquelle Dieu peut soumettre ses fidèles. Épreuve différente de celle vécue par le peuple d’Israël lors de traversée du désert. Il est dit qu’au désert, Dieu a éprouvé la foi et la fidélité de son peuple, en lui donnant chaque jour la manne à manger  ; épreuve de la foi, car au jour le jour, chacun devait s’en remettre en toute confiance à la parole de son Seigneur, se souvenant qu’il est celui qui l’a fait sortir d’Égypte pour lui donner la liberté et le conduire vers une terre où ruissellent le lait et le miel. La tentation de Jésus et la prière du Seigneur nous renvoient à une autre épreuve, celle du combat à mener contre celui qui veut détourner les hommes du chemin d’obéissance et d’amitié avec Dieu leur Père.

La nouvelle traduction, «  Ne nous laisse pas entrer en tentation  », écarte l’idée que Dieu lui-même pourrait nous soumettre à la tentation. Le verbe «  entrer  » reprend l’idée ou l’image du terme grec d’un mouvement, comme on va au combat, et c’est bien du combat spirituel dont il s’agit. Mais cette épreuve de la tentation est redoutable pour le fidèle. Si le Seigneur, lorsque l’heure fut venue de l’affrontement décisif avec le prince de ce monde, a lui-même prié au jardin de Gethsémani : «  Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi  », à plus forte raison le disciple qui n’est pas plus grand que le maître demande pour lui-même et pour ses frères en humanité : «  Ne nous laisse pas entrer en tentation  ».

Jacques Rideau
Ancien directeur du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle (SNPLS), Directeur au Séminaire français de Rome

Entrée en vigueur le 3 décembre

À partir du 1er dimanche de l’Avent (3 décembre 2017), en France, la nouvelle traduction du Notre Père remplacera de manière officielle l’ancienne formulation dans toute forme de liturgie publique. Pourquoi cette date et quel en est l’enjeu  ?

La nouvelle traduction de la sixième demande du Notre Père a été confirmée par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements le 12 juin 2013, avec l’ensemble de la nouvelle traduction liturgique de la Bible, dont elle fait partie. Il avait été décidé que l’on attendrait la publication de la nouvelle traduction du Missel romain pour rendre effective la nouvelle formulation du Notre Père.

La validation de la traduction du Missel romain prenant plus de temps que prévu, les évêques de France ont décidé, à leur dernière assemblée plénière (28-31 mars 2017), d’une entrée en vigueur de la nouvelle traduction du Notre Père le 3 décembre 2017.
Ce jour qui est le premier dimanche de l’Avent marque en effet le début de la nouvelle année liturgique.
Quant aux Églises francophones, certaines ont précédé le mouvement tel la Belgique et le Bénin à la Pentecôte 2017.

En officialisant cette nouvelle traduction du Notre Père, les évêques à Lourdes l’ont présentée comme devenant traduction en usage «  dans toute forme de liturgie publique  ». Une date unique d’application signe l’ecclésialité de la démarche.

A ce titre, il est bon de rappeler que le Conseil d’Églises chrétiennes en France (CÉCEF) a recommandé que lors des célébrations oecuméniques qui auront lieu à partir de l’Avent 2017, la sixième demande du Notre Père soit ainsi formulée :
«  et ne nous laisse pas entrer en tentation  ». Une manière d’honorer l’invitation du Christ «  Que tous soient un  » (Jn 17, 21).