L’homme avait trente ans, ou un peu plus. Il venait de Galilée, galiyl haGoiym, ce carrefour des peuples où les villes s’appellent Tibériade, Naïm, Cana, ou Capharnaüm ; et cela se sentait parfois, quand il parlait, à son accent du nord. Depuis des mois, il parcourait sa terre natale, et la Judée, et la Samarie, entouré d’une petite bande de disciples, d’origine diverse, où trois anciens pêcheurs semblaient tenir le haut du pavé. C’était une sorte de rabbi – il enseignait avec autorité sur les hauteurs ou dans les synagogues, et il lui arrivait de dire, devant des assistant troublés : « Les temps sont accomplis, ce qui était annoncé advient maintenant devant vous ».
Il guérissait les malades, redressait les estropiés, libérait les possédés. On l’avait vu, sur les rives du Jourdain, rencontrer Jean le prophète, qui l’avait traité avec douceur et baptisé. Peu à peu, il avait enthousiasmé les foules qui croyaient en lui et l’appelaient « Fils de David », racontant, éblouies, qu’il avait ressuscité son ami Lazare mis au tombeau depuis trois jours. Il inquiétait les pharisiens, que sa liberté dérangeait, les scribes, qui défendaient les subtilités de la Loi, les marchands, mécontents d’avoir été chassés du Temple. Les Romains, qui avaient eu vent de ces querelles, haussaient les épaules, préférant que les affaires des Juifs se règlent entre eux - toujours à se chamailler pour l’application des interdits le jour du Sabbat, ou pour savoir comment interpréter la Torah ! Le Nazaréen, lui, osait ne garder que deux commandements, et prétendait « changer les cœurs », en apportant, disait-il, la Bonne Nouvelle aux pauvres. On ne le comprenait pas toujours. Il avait des ennemis, peut-être même dans la troupe qui le suivait. Sa mère le rejoignait parfois, et d’autres femmes l’accompagnaient, qu’il avait soignées, ou converties. Comme la fête de la Pâque approchait, il était venu à Jérusalem, avec ses disciples, et on le vit sur un âne, ce qui fit dire à certains qu’il entendait ‘faire signe’, conformément aux paroles de l’Ecriture : « Voici ton roi qui vient sur le petit d’une ânesse ». On l’acclamait en agitant des branches et en criant « Hosanna ». Mais lui, connaissant le cœur des hommes, devinait que cela ne durerait guère. Judas, l’un des douze, qui avait voulu mettre son manteau avec celui des deux autres sur le dos de l’ânon, marchait en retrait.
C’est ainsi que l’homme de Nazareth entra dans la ville, précédé de palmes et porté par les bénédictions de la foule, tandis que dans le Temple, déjà, les scribes et les chefs des prêtres cherchaient ensemble comment le faire mourir.
(Extrait de la Lettre d’Informations du Diocèse d’Avignon, 1-22 avril 2012)