Homélie pour la fête des 32 bienheureuses martyres d’Orange

9 juillet 2024

9 juillet 2024

« Change notre deuil en joie… afin que nous demeurions vivants pour chanter ton nom, Seigneur. » Esther 4, 17H
Telle est la prière de Mardochée, juif de la ville de Suse en Perse, oncle d’Esther, devenue reine au temps d’Assuérus, 500 ans avant l’ère chrétienne.

Change notre deuil en joie…
Telle a été la prière des 32 religieuses emprisonnées, condamnées et guillotinées à Orange du 6 au 26 juillet 1794.
Change notre deuil en joie… afin que nous demeurions vivants pour chanter ton nom.
Cette demande, faite à l’heure de la mort, était-elle une folie ? était-ce une bravade ?
Il me semble que c’est plutôt un acte de foi et un cri de confiance.
L’acte d’une foi mûre qui confesse que nous sommes passés de la mort à la vie par la grâce du baptême et que nous avançons, jour après jour, en aimant Dieu et notre prochain.

L’acte d’une foi mûre qui, dans sa vie quotidienne, a intégré la conversion du cœur, du regard et de la volonté.
La prière d’ouverture de la messe en l’honneur des bienheureuses souligne qu’elles ont laissé Dieu déployer sa puissance dans leur faiblesse. Ce qui parait invraisemblable aux yeux du monde – la perte de la vie - n’a de sens qu’à la lumière de l’Évangile :
« Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » Mc 8, 35
"Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur." Mt 20, 26
« Quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé. » Luc 14, 11
« Heureux les pauvres… heureux ceux qui pleurent… Heureux les doux… Heureux ceux qui ont faim et soif… » Mt 5


L’acte de foi des bienheureuses est donc bien fondé. Pour le comprendre, nous avons chanté le psaume 26.

"Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie, devant qui tremblerai-je ?
J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants."


Nous aurions tout aussi bien pu chanter le psaume 29, connu des bienheureuses.

"Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé, tu m’épargnes les rires de l’ennemi.
Seigneur, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse.
Avec le soir, viennent les larmes, mais au matin, les cris de joie.
Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie.
Alors, que mon coeur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi,
et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce !"

L’acte de foi des martyrs se déploie dans un cri de confiance, dans ce message exprimé clairement qu’une vie, sa propre vie, n’est pas perdue quand elle est donnée. Cette vie, les bienheureuses l’ont d’abord reçue avec gratitude et elles en ont développés les dons. Elles ont fait fructifier leurs talents et n’ont pas eu à s’inquiéter de savoir ce qu’elles diraient. "Ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit Saint, l’Esprit du Père et du Fils qui parlera en vous." Cf. Mt 17, 20.
La vie des religieuses, les 32 qui ont été guillotinées comme les 20 qui ont été épargnées par la fin de la Terreur, la vie des religieuses était offerte… comme un chant de louange et même comme un chant nuptial.
Certaines ont chanté jusqu’au moment de leur montée à l’échafaud. D’autres avaient gardé – quel humour ! – des dragées pour ce moment : ce sont les dragées de nos noces !


Le chant du chrétien joyeux dans l’épreuve trouve sa source dans le cantique des trois enfants dans la fournaise, dans la prière de Mardochée, dans la prière du peuple juif voué à la disparition et finalement épargné par l’action de Dieu et l’intercession d’Esther.
Esther 8, 12T « Le jour, qui devait être un jour d’extermination, Dieu, le maître de tout, l’a changé en jour d’allégresse. »
Le chant du chrétien joyeux dans l’épreuve prolonge le chant et l’offrande du Christ arrêté, bafoué, condamné à mort et crucifié.
Ma vie, dit Jésus (10, 18), Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même.
J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau :
voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père.

Le chant du chrétien jusque dans l’épreuve prend donc appui sur une certitude :
Rom 8, 37et 39 : nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.
Rom 14, 8 si nous vivons, vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, mourons pour le Seigneur. Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur.
quelles qu’elles soient, puissent nos afflictions être changées en joie, nos deuils en jour de fête, nos humiliations en triomphe et en jubilation. Cf. Esther 9, 22
Seigneur, dans la vie des saints, tu nous procures un modèle,
dans la communion avec eux, une famille,
et dans leur intercession, un appui ;
soutenus par cette foule immense de témoins,
puissions-nous courir jusqu’au bout de notre vie
dans l’honneur et la persévérance et recevoir avec eux l’impérissable couronne de gloire.

Père Michel BERGER, curé d’Orange