- 1. Lucie Girard, on se rencontre aujourd’hui car vous venez de sortir un livre-disque « Les Sept Paroles » chez Bayard. C’est assez singulier comme album. Pouvez-vous nous raconter la naissance d’un tel projet ?
« Le quatuor à cordes n’est pas à proprement parler un ensemble musical qui est rentré dans le domaine sacré. Comme seule œuvre d’ordre sacré, nous avons une œuvre magnifique, « Les Sept dernières Paroles du Christ en Croix » de Joseph Haydn. Ce dernier a reçu une commande d’un évêque d’Espagne pour un vendredi saint. Dans la commande il était bien spécifié qu’il devait composer une sonate pour chacune des dernières paroles du Christ en Croix et qu’entre chaque parole musicale il y aurait une méditation de l’évêque. On a souvent l’habitude lorsqu’on joue les paroles du Christ en croix d’être avec un philosophe ou un prêtre qui d’abord énonce la parole avant de la méditer.
On a très heureusement rencontré Martin Steffens grâce à notre sœur Marie qui a enseigné dans le même lycée que lui à Metz. Nous est rapidement venue l’idée d’une collaboration pour donner cette œuvre.
Ce qu’on aime beaucoup chez Martin c’est sa capacité à parler à tous quelles que soient leurs convictions religieuses. C’est une parole qui peut toucher les cœurs de chacun. »
- 2. Vous interprétez dans ce livre-disque « Les Sept dernières Paroles du Christ en Croix" et "Les Sept Paroles de la Vierge » d’Alexandre Beneteau en diptyque. Expliquez-nous comment vous en êtes arrivés à ces deux volets ?
« A force de jouer « Les Sept dernières paroles du Christ en Croix » avec Martin Steffens est né le désir d’élargir cette collaboration en présentant au public des concerts-méditations du même format.
Il se trouve qu’un jour nous sommes tombés sur« Les sept paroles de la Vierge ». C’est Saint Bernardin de Sienne au XIVe siècle qui les a mises en valeur. Nous avons tout de suite perçu Les Sept Paroles de la Vierge comme un pendant idéal aux Sept Paroles du Christ en Croix et sommes partis à la recherche d’un compositeur qui trouverait du sens à donner naissance à une telle œuvre.
Il se trouve que j’avais entendu parler d’un compositeur, lauréat de la même bourse que nous.
J’avais cherché sur internet ce qu’il composait ; j’étais tombée sur un hymne marial qui m’a bouleversée. C’était très priant et dans un langage compréhensible par tous. Il s’appelle Alexandre Benéteau.
En parallèle on avait rencontré le peintre François-Xavier de Boissoudy.
Quand j’ai découvert ses œuvres, mon rêve était aussi de pouvoir faire correspondre son travail avec les paroles du Christ et de la Vierge. »
- 3. Vous parlez dans la communication de l’album de : « Mise en regard du Christ et de la Vierge, de l’ancien et du nouveau, du texte et de la musique, de la Parole écoutée et de la Parole exposée, du plus grand désespoir et de l’espérance absolue, de la Mort et de la Vie… » Vous pouvez nous expliquer tous ces vis-à-vis ?
« C’est un projet que j’ai vécu à la manière d’une pelote qui s’agrandit petit à petit et qui prend forme progressivement. Un peu comme si c’était quelque chose qui nous dépassait et dont on était nous-même les serviteurs. Un tel projet nous met en confiance car nous devenons des artisans d’une réalité qui est plus grande que nous.
Deux œuvres ancrées dans une même Tradition se font face : celle, ancienne, de Haydn, notre papa du Quatuor et celle, totalement nouvelle, de Béneteau. Les Méditations de Martin Steffens nous permettent d’écouter de façon parfois inattendue la Parole des Évangiles. Les œuvres de François-Xavier de Boissoudy sont, elles, les Paroles exposées. Le Christ a eu une peur de la mort, qu’aucun être humain n’a pu ressentir. Il est passé par là pour nous donner la Vie. Or toute la mission de Jésus passe par le don de Marie. Il me semble que par la musique, on n’a plus besoin de se demander si l’on est vraiment bien d’accord sur le sens des mots. Je pense qu’aujourd’hui il y une vraie crise du langage. Quand on transmet un message par la musique, on tente de réenchanter un dialogue qui semble parfois impossible. »
- 4. Lucie Girard, vous êtes une petite nièce de René Girard. Mgr Fonlupt a présidé une messe en fin d’année dernière pour le centenaire de sa naissance en présence de votre famille à l’église St Agricol à Avignon. Avec lui et dans votre domaine qui est la musique, est-ce un moyen aussi pour vous de lutter contre le déchaînement de la violence religieuse que nous vivons aujourd’hui ?
« René Girard dans, sa théorie, va jusqu’à parler des origines de la culture. Il y a une relation entre la violence et les origines de la culture ; c’est-à-dire que par essence l’homme est violent mais la culture, l’art est un moyen de passer par-dessus cette violence.
En tant qu’artistes nous sommes au cœur de cette problématique de la violence qui est ancrée dans le cœur de l’homme, qu’on le veuille ou non ; et l’art est en lien avec la Croix qui est plantée au cœur du monde. Depuis le Christ, même l’art vit une certaine désorganisation. Le Christ a renversé un ordre établi, il a renversé le bouc émissaire, celui qu’on tue alors qu’il est innocent.
Peut-être qu’on aimerait lutter contre la violence. Mais, essayer d’insuffler du beau, c’est peut-être notre plus belle arme. Il faut plutôt essayer de montrer que la vie justement est plus forte que la mort. On peut transmettre la paix quand on essaie soi-même d’en vivre. Le plus compliqué je pense c’est de vivre soi-même dans une paix intérieure. La lutte est peut-être plus en soi. »
- 5. Sur les terres culturelles de notre diocèse d’Avignon, du département du Vaucluse, quelles sont vos espérances pour planter « votre propre croix glorieuse » ?
« Nous avons rencontré des directeurs de l’Enseignement catholique qui se sont réunis à Saint Didier il y a quinze jours. Nous leur avons fait part de nos différentes expériences avec des milliers d’enfants. Nous espérons pouvoir réaliser avec eux de beaux projets dans le diocèse. Ce serait magnifique. On touche de près là notre rôle de musicien qui est évidemment de donner des concerts mais avant tout de transmettre. »
* « Le quatuor à cordes est un genre musical né au XVIIIe siècle à la fin de l’époque baroque au moment où la musique instrumentale était très foisonnante. Un compositeur comme Joseph Haydn, mais beaucoup d’autres moins connus ont pris la substantifique moelle de tout ce foisonnement de l’époque baroque. Ces quatre instruments de la même famille s’apparentent vraiment au discours rhétorique des grecs et des romains. C’est une musique à quatre voix comme un chorale, un genre qui est le témoin de l’ADN de notre musique occidentale.
De très grands compositeurs ont composé pour cette formation comme Mozart, Haydn, Beethoven, à tel point que pour être reconnu il fallait composer pour le quatuor. C’est comme cela que l’on a un répertoire immense et extraordinaire. C’est là où les compositeurs se sont vraiment surpassés. »
Pour les écouter près de chez vous : https://www.girardproduction.fr/
Le service diocésain de la communication
© Jacques Dussaux