Au petit matin de ce jour- là, il faisait encore gris, la mort était encore trop proche, la blessure trop vive pour que le mot « résurrection » vienne effleurer l’esprit, pointer au bord des lèvres, amorcer une rumeur. Les hommes se terrent et se taisent, enfermés à double tour dans la peur.
Seules trois femmes, modestement fidèles, jusqu’au bout, reviennent accomplir les derniers soins au cadavre martyrisé de Jésus. Elles ne savent pas encore que tout est changé. Que tout a culbuté dans une nouvelle dimension. Elles s’affairent, dans l’air vif et se demandent qui leur roulera la lourde pierre qui ferme la tombe, qui bouche l’horizon, qui clôt l’avenir. Il n’est pas besoin d’espérer pour aimer, il ne faut pas davantage attendre le bonheur pour trouver la force d’accomplir l’ultime hommage à un ami mort.
Pourtant la grande pierre qui mure la vie est déplacée et voici que la tombe est vide, béante, ouverte. Quelque chose s’est brisé et pour lequel on n’a pas inventé de mot nouveau. Ce matin-là n’est encore qu’une aurore grise. Pâques n’est toujours qu’un jardin des morts. Et c’est alors que tout va changer.
Les saintes femmes étaient venues vénérer un mort, et on leur annonce un vivant. « Jésus, le Nazaréen, le crucifié, l’enterré, il est ressuscité ! Il vous précède en Galilée. » Pour elles, tout, soudain, bascule. Le monde vacille. Le temps et l’espace craquent. Ces trois femmes sont jetées dans un inconnu vertigineux, qu’elles ne peuvent esquiver, car il vient de Dieu. Elle ne peuvent être que saisies devant le sacré. Un bonheur inattendu, qui a goût de petit matin dans le soleil, devient possible, pour toujours. Le bonheur fait toujours un peu peur. Elles venaient pleurer l’Ami, et c’est la joie qu’il leur offre. Voici que dans la trame des deuils ordinaires et des soucis ménagers, s’est levée, sans bruit, l’aurore de la résurrection, de la « re-création » du monde, de son basculement dans l’éternité. Comment ne pas d’abord en pâlir de surprise ? Comment ne pas commencer par fuir et se cacher, comme un enfant, sous sa couverture.
Mais la Parole de l’Ange sera la plus forte : « Il vous précède en Galilée » ...
Sur nos chemins quotidiens, dans notre vie humaine réelle, Dieu vient, depuis ce premier jour de la semaine, nous faire
sortir de nos tombeaux. Il dénoue les liens de la mort. C’est dans le silence de la foi et de l’adoration que pourra naîtra en
nos coeurs la joie des joies : Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Il nous précède : dans la brèche qu’il ouvre,
nous passons déjà de la mort à la vie.
Et si comme pour les saintes femmes de l’Evangile, les mots nous manquent souvent pour dire ce que nous croyons de la résurrection du Christ, ce qu’elle change dans nos vies. Acceptons donc d’être au départ, peut-être, nous aussi, tenu au silence en accueillant simplement la Parole du Seigneur, l’Evangile de la résurrection, sans chercher à l’expliquer avant de le recevoir. Il tient en effet à chacun de nous de faire une partie du chemin qui nous mène à la vraie foi en Christ ressuscité. Un messager se tiendra alors là où nous ne l’attendons pas, il aura roulé la pierre qui jusqu’à ce jour, encombre peut-être encore un peu nos esprits.
Que notre coeur entende donc ce que la liturgie nous dit aux oreilles : « N’ayez pas peur ! Vous cherchez Jésus de Nazareth le Crucifié ? Il est ressuscité, il n’est pas ici, » il vous précède sur vos routes quotidiennes.
Père Jean-Marie Gérard