Dans quelques jours, le 13 juin, sera fêtée un peu partout dans le monde catholique, la « St Antoine de Padoue ». Particulièrement à Lisbonne, sa ville natale – car ce Franciscain, excellent connaisseur des Ecritures, infatigable prédicateur, saint thaumaturge, canonisé un an seulement après sa mort tant les miracles abondaient quand on invoquait son nom - n’était pas italien mais portugais. Le I3 juin, donc, jour de sa « naissance au ciel », Lisbonne tout entière sera en fête : que de monde dans les rues de la ville, que de messes festives en son honneur, que de processions mobilisant croyants, curieux, touristes… Des quartiers entiers se parent alors de guirlandes, les fenêtres s’ornent du traditionnel pot de basilic (le mangerico) qui lui est consacré, et sa statue sera promenée avec ferveur (dans la liesse générale…) tandis que tard dans la nuit résonneront chants et guitares.
Comment faut-il appréhender aujourd’hui cette « piété populaire » joyeuse et démonstrative ? Naïve ? Trop profane, dans ses retombées, pour être intéressante ? Entachée de superstition ? Récupérée par le tourisme ? Faut-il la regarder de haut, elle qui s’exprime si bien dans de nombreux pays, le Portugal, certes, mais aussi l’Espagne, l’Italie, le Brésil, et certains pays africains ou asiatiques… parfois même chez nous, en France, autour des grands sanctuaires et dans les chapelles de villages, à travers les dernières Rogations et les derniers pèlerinages locaux sauvés de l’oubli… ?
Pour certains, elle a le tort d’être « visible », exubérante parfois, et attachée aux « traditions » - un mot qui gêne les partisans d’une modernité « sobre » et « discrète » pour l’expression de la foi en terre laïque. Serait-elle alors un résidu passéiste, cette religion populaire qui mobilise pourtant des chrétiens sincères, et aussi les « atypiques », ceux qui sans elle n’auraient peut-être jamais vécu un tel moment de ferveur et de partage heureux ? Nos ancêtres ont, pendant des siècles, aimé Dieu et témoigné de leur attachement au christianisme avec ces pratiques qui sont peu à peu devenues étrangères à beaucoup d’entre nous ; sont-elles pour autant caduques voire condamnables, au nom d’une épuration de la foi, et ne peut-on en même temps s’instruire et déposer un instant la fière raison au pied d’une statue qui nous invite à prier, un jour de fête, ou sur le seuil d’une grotte qui nous relie à toute l’Eglise, à l’intercession de Marie, à la communion des saints, à l’immense chaîne des hommes, connus et inconnus , qui sont venus vivre là leur espérance ou leur conversion ?
Cierges qui brûlez pour demander la guérison ou pour dire merci, pèlerins qui prenez la route, prières qui montez vers les saints et par eux nous amenez au Christ, foule silencieuse et recueillie de la rue du Bac ou d’ailleurs - vous faites vivre vous aussi activement la foi.
« Bienheureux les affligés, les petits, les cœurs purs : ils verront Dieu ! ».
Simone Grava-Jouve