Rentrons en nous-mêmes

11 mars 2013

Alors qu’il est parti et a fait ce qu’il voulait, le ‘fils prodigue’ a découvert la jouissance du péché, mais aussi son salaire : la mort de l’être, la disparition de la communion avec son père, la perte du sens de la vie. Expérience commune et pourtant terrible de ne pas avoir de raison de choisir telle chose plutôt que telle autre. Expérience que font nos jeunes, souvent élevés sans avoir rencontré Dieu, et blessés par le péché. Ainsi les couples qui se préparent au mariage : l’approche de l’engagement provoque chez certains une angoisse si forte qu’elle les fait reculer, ou même les pousse dans les bras d’anciennes relations.

Le fils prodigue a sur nos jeunes un avantage : « rentrant en lui-même », il trouve une raison de retourner vers son père et la force de le faire. Nos jeunes n’arrivent souvent pas à faire ce pas. Certes ils ont du mal à rentrer en eux-mêmes, mais même s’ils y arrivent, quelque chose les empêche de passer à la seconde partie de la parabole. Ils conçoivent leur vie comme le monde virtuel d’un jeu d’ordinateur : celui qui commence a une infinité de choix possibles, qui semblent tous se valoir. Mais chaque choix effectué détruit tous les autres. A la fin il n’y a plus que deux choix, puis un seul, puis… on échoue (ou on passe au niveau supérieur et on recommence le même processus dans un autre décor !). Le choix s’oppose donc à la liberté.

D’autre part, s’ils regardent leur vie passée, ils s’aperçoivent que deux ou trois choix seulement en ont décidé l’orientation. Et ils n’ont pas toujours été judicieux. Comment être sûr de ne pas aggraver la situation, de ‘ne pas se rater’ cette fois-ci ? Ils se retrouvent paralysés face à la vie qui ne cesse de passer : à la différence du jeu vidéo, le rythme ne dépend pas du joueur.

Le travail d’évangélisation doit donc les aider à entrer dans la réalité : chaque choix ouvre sur d’autres possibilités qui n’existaient pas auparavant (le virtuel n’est pas réel !) et contribue à tracer le parcours d’une vie.

Mais aussi, nos choix se font en fonction d’un critère, que le fils prodigue n’avait pas oublié : sa vie a du prix pour son père, il est celui qui peut lui donner une deuxième chance. C’est le choix le plus facile, puisque il n’a pas besoin d’une conversion parfaite (« reconnais seulement ta faute », dit Jérémie 3,13). Il n’a pas à choisir un nouvel axe de vie, mais seulement à revenir, blessé, vers le point de départ. Son père fera le reste. Et pourtant, c’est pour beaucoup le choix le plus difficile, car, toute cabossée et stérile, leur vie est la seule chose qu’ils ont, et ils ont peur de la risquer. Ils n’en ont pas la force.

Comment sortir de cette impasse ? Revenons à la parabole… et à ce qui lui manque. Où plutôt ce qui y est caché. Dans cette parabole, nous oublions souvent l’essentiel : le narrateur qui lui donne sens.
Jésus Christ accompagne le fils prodigue du début à la fin de son histoire. C’est lui qui lui permet de rentrer en lui-même et de revenir vers le Père.
Revenons à nos jeunes. Deux choses leur manquent. La seconde consiste en cette rencontre personnelle avec le Christ. Et la première, qui en est la condition et la porte : notre propre rencontre avec notre sauveur et le témoignage que nous leur en donnons. Nous sommes pour eux la preuve que Dieu est fidèle, qu’avec lui, on a droit à l’erreur. Comme eux, nous avons fait le même parcours que le Fils prodigue, comme eux, nous en sommes restés boiteux.
Comme nous, le Père les attend, Jésus Christ les conduit et les soutient : les sauve.

Nous voulons annoncer l’Évangile ? rentrons d’abord en nous même pour nous reconnaître dans le pauvre qui tente vaille que vaille de retourner vers son Père. Alors nous serons des témoins fiables du retour à la vie, de la liberté de la vie auprès du Père


Père Pierre Hoarau

Extrait de la lettre d’information du diocèse, 10 mars 2013