Solide ou liquide ?

17 novembre 2017

Extrait du Bloc-Notes, novembre 2017

Insolite ce titre  ? Et pourtant, si vous suivez les débats qui animent la meilleure presse catholique, vous apprendrez que quand des institutions «  solides  » comme celle des paroisses depuis de XIe siècle, perdent leur rôle de cadre contraignant et universel, il se trouve un ruissellement d’initiatives qui se logent comme elles peuvent dans les «  périphéries  ». Ce ruissellement, vu du côté de l’église catholique est décrit comme un mouvement «  liquide  ». C’est en tout cas, un des aspects empruntés au sociologue Zygmunt Brauman et développés pour ce qui fait la matière de nos affaires de chrétiens par le théologien jésuite Arnaud Join-Lambert dans les ETVDES.


Et alors, pourquoi parler de cela, alors qu’il est bien question dans le diocèse d’évangélisation  ? Eh bien, parce que cela éclaire les positions offensives de notre pape François et ouvre une lisibilité nouvelle sur les différents types d’approche.

La question de l’évangélisation est-elle une reconquête  ? une proposition  ? un échange  ? ou plus largement une sortie de nos mises en scène (cène) pour aller hors des parvis (dans les périphéries)  ? La question est évidemment posée à l’échelon diocésain, au motif qu’il peut s’y trouver des arbitrages qui vont privilégier un type de pastorale plutôt qu’un autre.

Accrochez-vous si le sujet est nouveau pour vous : revenons d’abord aux paroisses. Elles sont un espace de lutte sourde de pouvoir entre des «  conciliaires  »(âgés) et des «  observants  » (souvent mois âgés). Si vous prenez quelques heures de lecture avec l’excellent livre de Yann Raison du Cleuziou («  Qui sont les catholiques aujourd’hui  ?  »), vous allez éclairer très vite les écarts de vision entre ces deux groupes et comprendre comment tous les autres ne mettent plus les pieds dans nos églises. Le niveau des difficultés d’un évêque est très élevé, puisqu’il lui faut être l’apôtre de tous, en dépit des tensions qui laissent observer la poussée des SOLIDES qui veulent reconstruire des paroisses amples autour de prêtres doués d’un bon charisme et ceux qui veulent mobiliser d’abord vers la mission hors les murs, sans spéculer sur une restauration de la chrétienté passée, ce sont les partisans d’une vision LIQUIDE servie en fait par le Pape François. Sa vision serait prophétique au motif que la société devient de plus en plus liquide (en s’écartant du cadre de ses institutions pour se couler dans des espaces affinitaires offrant une large place aux individus et à leur charisme).

Plus finement l’analyse des ETVDES, décrit des types différents d’approche au contact de la question floue de l’évangélisation. Jean Paul II avait initié une NOUVELLE EVANGELISATION, dont l’objectif espéré était l’accueil en paroisse (vision «  solide  »). L’épiscopat français avait un schéma plus prudent dans la forme, c’était celui des PROPOSITIONS de la FOI, qui supposait une demande des personnes rencontrées, mais l’objectif était encore un retour vers la maison commune, la paroisse (même vision solide).

La démarche pastorale d’ENGENDREMENT limite ses ambitions aux échanges sur les questions existentielles, en incluant les témoignages. C’est une mission «  liquide  », sans intentionnalité de ramener à soi (la paroisse encore). Enfin, l’EGLISE en SORTIE, très présente dans les écrits du Pape François pose la stimulation missionnaire, sans arrière-pensée, en posant la place de l’Eglise partout où vivent les hommes, c’est à dire très clairement en dehors de lieux de culte  !


Autre époque, autres hommes, autres préférences, direz-vous  ; cependant les obstacles ou les promotions qui seront faites demain au détriment des autres vont peser lourd dans les années qui viennent. Les paroisses vont perdre dans quelques années leur bataillons de paroissiens et de prêtres âgés. Quid ensuite  ? L’option paroissiale, pourtant millénaire, tient-elle encore  ?

Yann Raison du Cleuziou, qui rend compte d’un important travail d’équipe, plaide pour la nécessité de mettre autour de la table les «  conciliaires  » et, les «  observants néo-classiques  » qui doivent se parler devant leur évêque, non pour se convaincre, mais pour s’enrichir de l’expérience de chacun. Le modèle préfectoral des diocèses, décliné jusque dans les paroisses connaît ses dernières années, pour de simples raisons démographiques.

Quelques initiatives de présence chrétienne montrent un chemin incertain qui évoque celui de l’Action Catholique des années 1930/40, parce que l’alerte avait déjà sonné dans les paroisses à cette époque.


La posture qui consiste à faire flèche de tout bois est encouragée par les deux auteurs cités, en prenant la peine de soutenir les initiatives «  liquides  » sans décourager les «  solides  » qui devront, dans un esprit synodal, TRAVAILLER ENSEMBLE, en se donnant mutuellement une large confiance et l’estime qui va avec. Pas d’angélisme, cependant, parce «  les ouvriers sont peu nombreux.  » Une pastorale d’évangélisation qui ne partirait que sur un dispositif unique et exclusif serait un projet de grande fragilité.

Rappelez-vous d’un papier assez récent dans le BLOC-NOTES à propos des échecs d’une évangélisation qui ne crée pas un minimum de sentiment construit d’appartenance. Il s’agissait d’un MANUEL de SURVIE pour les PAROISSES, pour la survie des refuges solides bien institués. Ces bases vitales doivent rester vivaces, mais le challenge est dehors, plus loin que les parvis, et cela vous le savez très bien.
Alors SOLIDE et LIQUIDE … «  en même temps  »  ? Pas si simple  !

Pour illustrer :

LIQUIDE : l’Abbé Pierre et Emmaüs, ce que furent à leur apogée le CCFD ou l’Action Catholique , l’Arche, le scoutisme, un café-catho en ville, un week-end à Taizé, une foule d’associations, un concert, les aumôneries en général, nos moyens de communication (radio, presse, internet..), les cellules ou cénacles…

SOLIDE : Tout ce qui est codifié à la virgule près dans les paroisses : les sacrements, le catéchisme, la messe … dans un langage incompréhensible pour un non initié. Le clergé est centré sur cette mission, aggravée par le «  manque  » de prêtres et les regroupements de villages.

En fait rien de neuf, direz-vous, sauf que les paroisses solides échouent au-delà des parvis depuis plus d’un siècle et que nous le savons mieux qu’avant. La tentation du repli en louanges et adorations en quelques lieux existe, en même temps que la vanité de montrer quelques paroisses en progression d’accueil parce qu’elles reposent sur des charismes et qu’elles cannibalisent avec délice … les paroisses voisines. A moins que d’observer qu’elles deviennent liquides, tant leur éventail de propositions et d’initiatives hors du cadre strict de la liturgie et des sacrements répond aux attentes. Ouvrez l’œil  !

GG