Jésus marche à côté des pèlerins d’Emmaüs. Ils le voient seulement
quand ils ne le voient plus, quand reste uniquement le pain qu’il leur a
partagé. L’eucharistie : là où les saints, dans le seul Saint, nous font
rencontrer ceux que nous appelons absurdement les morts. Ceux que
nous appelons les morts s’inscrivent dans le Corps du Mort-Ressuscité.
Les saints leur ouvrent la voie, les saints qui dès ici-bas, s’identifient au
seul véritable Vivant : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » À la mort, la vérité du corps, c’est-à-dire, au sens large, le visage, est assumée dans le Corps du Christ, par l’âme et par la communion des saints. À la Parousie, tous apparaîtront ressuscités dans le Ressuscité.
La vie terrestre n’est rien d’autre que la lente élaboration de notre corps de gloire. Le coeur est son germe, quand il s’embrase très doucement, serait-ce un bref moment. Le corps de gloire s’éveille et prend place dans l’âme aux instants où la corporéité cesse d’être un objet pour devenir présence, langage, communion : dans la danse, ou simplement quand tu marches dans la montagne, dans l’étreinte du véritable amour ou l’humble geste de bonté, dans la jubilation liturgique, et le monde entier devient liturgie, dans la pure joie d’être, quand le battement de ton coeur n’est plus angoisse mais prière, dans le silence qui fait de l’« homme intérieur » une coupe offerte.
Certes, la chrysalide se craquelle, le vieil homme parfois se recroqueville misérablement. Qu’importe, c’est l’homme intérieur qui se desquame. À la mort physique, la miséricorde de Dieu contournera les années d’adulte adultération, de vieillesse absente, pour nous ramener sur ce chemin que nous avions, enfants, jalonné de germes de résurrection, nous, les petits Poucets du Royaume. Un chant, un jeu, avant la chute. Plus tard aussi, plus tard, après la chute, ce soupir d’asphyxie, cet instant de confiance : « Seigneur, aie pitié de moi, pécheur. »
La Toussaint illumine le jour des morts, qui est notre jour à tous si peu vivants. D’une lumière qui vient du Père, par le Fils dans le Saint-Esprit. Et l’Esprit de « toute sainteté », l’Esprit de tous les saints, se concentre dans la Toute Sainte, la Vierge Mère. Et Marie nous accueille, nous accueillera. Tous ces corps si peu glorieux, elle les fait mûrir dans son beau jardin, son beau verger, son beau paradis. Où nous baignerons nos visages dans les « fleurs d’or » dont les chrysanthèmes de la Toussaint ne sont que les symboles.
Olivier Clément
Les saints sont des visages