Massa Koné partenaire du CCFD-TS sera en Vaucluse

21 janvier 2022

Comme chaque année pendant le Carême, le CCFD Terre Solidaire est heureux de recevoir un.e partenaire d’un pays du Sud.

La pandémie a empêché ces liens pendant 2 ans... Cette année, en principe, nous aurons la chance d’accueillir un Malien, responsable de nombreuses organisations paysannes. Son association lutte notamment contre les accaparements de terre ainsi que des points d’eau, indispensables à toute culture.

Il sera présent en Vaucluse, le vendredi 25 mars et le samedi 26 mars prochains.

Massa Koné participera l’après-midi à la fête des 60 ans du CCFD Terre Solidaire en Avignon (Rando solidaire sur l’île de la Barthelasse).

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Massa Koné, défenseur des droits au Mali

« Juriste de formation mais paysan de profession », Massa Koné porte bien d’autres casquettes, puisqu’il est aussi secrétaire général de l’UACDDDD, qui fédère plus de 400 organisations paysannes et mouvements citoyens au Mali, porte-parole de la Convergence malienne contre les accaparements de terre, de la Convergence globale des luttes pour la Terre et l’Eau Ouest Afrique et du mouvement No Vox Afrique.

Nos militant∙e∙s l’avaient invité à prendre part aux marches de la Jai Jagat 2020 en France et mais les actuelles restrictions de déplacement ne lui ont pas permis de se joindre à nous. Qu’à celle ne tienne ! Massa Koné a gentiment accepté de partager son expérience en visio-conférence, avec les marcheurs et marcheuses du Jura, et de répondre à nos questions.

 

Peux-tu nous parler un peu de toi ?

Comme mes parents avant moi, et leurs ancêtres avant eux, je suis paysan. Avec mes frères et des amis, je vis de la terre. Nous avons une ferme où nous élevons de la volaille et des petits ruminants, nous cultivons du maïs, du sorgho… Je me sens responsable de cette terre et solidaire de ma communauté, qui a subi beaucoup d’injustices et s’est vu privée de beaucoup de terres.

 

Mon engagement ne date pas d’hier : quand j’ai commencé, j’étais étudiant ! Ce n’est pas possible pour moi de ne rien faire. J’ai naturellement horreur de l’injustice.

 

Peux-tu nous parler des accaparements de terre et d’eau ?

En agriculture, la terre et l’eau sont indissociables ! Sur la terre se trouvent des rivières et des marigots, et qui dit « accaparement de terres » dit aussi « accaparement des points d’eau » pour irriguer les terres.

 

Les accaparements ont commencé avec des entreprises européennes ou américaines qui se sont installées sur nos terres, avec la complicité de politiciens véreux et la collaboration d’entreprises locales. A présent, avec la multiplication des partenariats public-privé qu’encourage la Banque Mondiale, les investisseurs viennent du monde entier et aussi d’Afrique. Le vol de terres s’est mondialisé.

 

Avant qu’on commence à s’organiser, cela se passait très simplement : un beau jour, des villageois voyaient arriver des 4x4 protégés par l’armée, et quelqu’un leur présentait un morceau de papier, un « permis d’exploitation ». Celles et ceux qui essayaient de s’opposer à l’installation des nouveaux arrivants sur leurs terres étaient arrêtés, voire fusillés. J’ai connu des personnes fusillées comme ça.

 

D’où vient le problème ?

Ce que nous avons vu en essayant de nous défendre, c’est que la législation était contre nous. C’est un combat entre la légalité du bout de papier et la légitimité des habitants qui cultivent ces terres depuis des siècles.

Quand des juges nous mettaient « au trou », ce n’était pas parce qu’ils ne nous aimaient pas mais parce que la loi n’était pas en notre faveur. Les cris, les protestations et les « sit-in » ne suffisaient pas.

Tout cela vient de l’héritage colonial : quand les colons sont arrivés, ils ont créé des titres de propriété qu’ils se sont arrogés si bien que la terre n’appartenait plus à ceux qui y vivaient et qui en tiraient leur subsistance, mais aux colons, puis à l’Etat.

 

Depuis l’indépendance, les terres sont restées à la propriété légale d’individus, de collectivités locales, ou de l’Etat, sans aucune place pour le droit coutumier. Le gouvernement profite depuis des années de cette situation pour disposer à sa guise des terres cultivables et irriguées, et attirer des investisseurs au détriment de la population. Au moins 700 000 hectares sont à présent occupées par des exploitations minières, des forêts ou de grandes cultures.

 

Comment s’organise la résistance ?

Je fais partie d’une organisation paysanne qui s’est rapprochée de quatre autres organisations maliennes pour lutter contre ces accaparements, au sein de la Convergence Malienne contre les Accaparements de Terres.

Nous avons constaté qu’il fallait revoir entièrement le code domanial et foncier hérité des colons. J’étais technicien supérieur en machinisme diesel, et il a fallu que je devienne juriste. C’était il y a dix ans…

Nous avons mené un important travail de plaidoyer auprès des autorités, pour imposer notre propre vision des choses. Grâce à une forte mobilisation de la population, le Mali a adopté en 2006 une loi d’orientation agricole que nous appelions de nos vœux.

Mais la portée de cette loi a été beaucoup réduite par le gouvernement, car il n’y est pratiquement pas question de l’accès à la terre. Nous avons donc axé notre plaidoyer sur l’adoption d’une politique foncière favorable aux paysans. Nous nous sommes battus, nous avons travaillé avec beaucoup d’experts, des juristes, des universitaires, pour élaborer un projet et le promouvoir auprès du gouvernement.

Finalement, la « politique foncière agricole » du Mali a été adoptée en 2014. Il s’agissait de reconnaître la légitimité des communautés à cultiver et gérer des terres en l’absence de titre foncier. Pour nous ce sont des « biens communs », partagés et gérés collectivement, pas des terres à la disposition du premier venu !

Mais pour que cette politique foncière prenne effet, il fallait une loi, votée le 11 avril 2017. Les décrets d’application sont parus en octobre 2018. C’est une grande victoire pour nous. C’est une force, qui va nous permettre de bloquer les accaparements de terres.

 

Concrètement, de quoi s’agit-il ?

Les terres communes seront gérées par des commissions foncières villageoises qu’il s’agit maintenant de constituer. Elles ne seront pas gérées par des politiciens, mais par les habitants ! Ces commissions devront constater l’existence et l’étendue des terres coutumières, gérer les transactions foncières entre les membres de la communauté et arbitrer les éventuels conflits.

Malheureusement, l’Etat Malien n’a pas les moyens de mettre en œuvre cette organisation, et c’est la dernière des priorités du gouvernement. Mais nos syndicats et associations de défense des paysans peuvent compter sur des soutiens extérieurs, de la part d’ONG notamment. Grâce à leur soutien, nous avons déjà réussi à mettre en place 65 commissions foncières villageoises et nous estimons qu’il en faudrait, en tout, au moins 400.

Peux-tu nous parler de ton engagement au niveau international ?

C’est pendant le Forum Social Européen de 2002, puis le Forum Social Africain de 2014 que nos mouvements de victimes et de représentation de la « base » ont pu se rencontrer, échanger, et commencer à s’organiser en coalitions internationales.

Jusque-là, c’était des ONG étrangères qui faisait des choses à notre place, mais nous sommes les premières personnes concernées et nous avons senti que nous n’avions pas d’autre choix que de nous mobiliser, depuis la base.

Nous représentons de nombreuses associations et organisations locales, fédérées au niveau national au Mali et dans 16 pays d’Afrique de l’Ouest pour mener ensemble des actions d’envergure et faire bouger les lignes.

Nous avons d’abord élaboré ensemble notre « livre vert », qui rassemble à la fois nos constats et les solutions que nous voulons. Chaque organisation mène ses propres actions, au niveau local, mais nous nous appuyons mutuellement au niveau national et international. C’est très important que nous ne restions pas chacun dans notre coin et nous sommes membres du mouvement mondial Via Campesina.

Ensemble, nous avons organisé une première « Caravane » à travers 5 pays, en 2016, pour nous faire entendre. La Caravane de 2018 s’est terminée sur la remise de notre « livre vert » à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Chaque fois, la Caravane s’arrête dans 5 pays où elle organise 3 grosses actions de plaidoyer auprès des autorités locales et nationales.

La prochaine Caravane partira le 10 février 2021 et mobilisera entre 300 et 600 personnes qui traverseront la Gambie, le Sénégal, la Guinée-Bissau, la Guinée-Conackry et le Sierra Leone.

 

Quel est l’impact de la crise actuelle au Mali sur votre mouvement ?

Il a fallu continuer à cultiver et travailler malgré les armes qui ont commencé à circuler partout, la guerre contre les djihadistes ou soi-disant djihadistes dans le Sahel… Nous avons continué à travailler entre les balles des fusils, en tâchant de ne pas nous en occuper, sachant que l’instabilité et l’insécurité actuelles ont un lien avec la mauvaise gestion du pays ces dernières années.

Le 19 juin, ma famille a été victime d’une agression : des individus cagoulés s’en sont pris à ma famille, à ma femme et mes enfants en disant qu’ils me cherchaient. Ils cherchaient aussi mon ordinateur. Ils ont volé de l’argent et des disques durs et clés USB. Je ne sais pas qui sont ces personnes, mais d’après moi, c’est une manœuvre d’intimidation parce que nos actions gênent des investisseurs et des politiciens dans leur trafic d’influence.

Nous avons porté plainte contre X mais la Justice n’est pas pressée de faire son travail. Ma famille a été choquée, elle aurait besoin d’être écoutée et de se sentir plus en sécurité, c’est pourquoi nous recherchons des fonds pour installer au moins des caméras de surveillance et payer un médecin pour les enfants.

Te sens-tu plutôt optimiste ou plutôt pessimiste en ce moment ?

Je suis optimiste. Un combat comme le nôtre ne se gagne pas du jour au lendemain. Nous nous battons contre un système d’exploitation qui dure depuis des siècles. Leur force, c’est une forme d’endoctrinement, qui fabrique des « adorateurs » du système capitaliste mais nous pouvons déconstruire leurs discours et je vois des signes encourageants.

Beaucoup de gens qui avaient peur ont maintenant le courage de se battre pour leurs droits économiques et sociaux, et pour la diversité culturelle. Quand j’étais petit et qu’on voyait arriver des gendarmes dans le village, tout le monde fuyait. Mais aujourd’hui les gens restent où ils sont. Ils ont davantage de courage et sont davantage conscients de leurs droits

Il faut continuer à sensibiliser la population et l’aider à affronter les politiciens véreux. Je pense que les choses vont beaucoup changer dans l’avenir…