Méditations carême 2023 : l’oraison

12 mars 2023

Carême 2023 – Thème 2 –

L’ORAISON

C’est un sujet immense. Beaucoup de lettres de François de sales lui ont été consacréesen réponses à ses Philotées qui ne savaient comment prier et lui posaient un grand nombrede questions ; Avant tout, St François de Sales, comme dans l’Introduction à la Vie Dévote, demande de se mettre en présence de Dieu, effort de préparation indispensablequi permet notre mise en disponibilité vis à vis du Seigneur. Ce n’est pas chose facile.Jeanne de Chantal en a fait l’expérience. Et St François la conseille, afin de lui faciliter l’entrée en oraison.

[1] « Se tenir en la présence de Dieu et se mettre en la présence de Dieu sont, à mon avis, deux choses ; car pour s’y mettre, il faut révoquer son âme de tout autre objet et la rendre attentive à cette présence, actuellement, ainsi que je le dis dans mon livre. Mais après qu’on s’y est mis, on s’y tient toujours, tandis que ou par l’entendement ou par la volonté, on fait des actes envers Dieu, soit le regardant ou regardant toute autre chose pour l’amour de Lui ; ou ne regardant dans rien, mais lui parlant ; ou ne le regardant ni parlant à lui, mais simplement demeurant où il nous a mis, comme une statue dans sa niche. Et quand à cette simple demeure se joint quelque sentiment que nous sommes à Dieu et qu’il est notre tout, nous en devons bien rendre grâce à sa bonté. » Et, pour l’aider, il lui donne en exemple celle qui a soutenu et suivi le Seigneur Jésus jusqu’à la fin.

[2] « Mon Dieu, chère Fille, que c’est une bonne oraison et que c’est une bonne façon de se tenir en la présence de Dieu que de se tenir en sa volonté et en son bon plaisir ! Il m’est avis que Madeleine était une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer et peut-être sans le regarder, elle écoutait ce que le Seigneur disait, assise à ses pieds. Quand il parlait, elle écoutait ; quand il arrêtait de parler, elle cessait d’écouter, et, cependant, elle était toujours là. Un petit enfant qui est sur le sein de sa mère dormante, est vraiment en sa bonne et désirable place, bien qu’elle ne lui dise mot ; ni lui à elle. » Les conseils qu’il donne à Mme Brûlard, prise entre son devoir d’obéissance à son père et à son mari, nous sont très précieux, car elle n’est encore, à ce moment l’à, qu’une «  novice en dévotion » :

[3] « Vous avez grand désir de la perfection chrétienne : c’est le désir le plus généreux que vous puissiez avoir ; nourrissez-le et faites le croître. Les moyens de parvenir à la perfection sont divers selon la diversité des vocations : car les religieux, les veuves et les mariées doivent tous rechercher cette perfection, mais non pas par même moyen. Alors, Madame, qui êtes mariée, les moyens sont de bien vous unir à Dieu et à votre prochain, et à ce qui dépend d’eux. Le moyen de s’unir à Dieu, ce doit être principalement l’usage des sacrements et l’oraison... »

[4] « Quant à l’oraison, vous la devez fort fréquenter, spécialement la méditation, à laquelle vous êtes assez propre, ce me semble. Faites-en donc tous les jours une petite heure le matin avant que de sortir, ou bien avant le souper et gardez-vous bien de ne la faire après le dîner ni après le souper, car cela gâterait votre santé. Et pour vous aider à la bien faire, il faut qu’avant icelle vous sachiez le point sur lequel vous devez méditer, afin que, commençant l’oraison, vous ayez votre matière prête. Et à cet effet il faut que vous ayez les auteurs qui ont touché les points de médiation sur la vie et la mort de Notre Seigneur dans lesquels vous choisirez la méditation que vous voudrez faire et la lirez attentivement pour vous en ressouvenir au temps de l’oraison et n’avoir autre chose à faire que de les remâcher. » Dans la journée, il n’y a pas d’heure pour s’adresser à Dieu et les occasions se présentent à tous moments, en tous lieux, même si l’on n’est pas seul. Ce sont les oraisons jaculatoires. Il les conseille à Mme Brûlard :

[5] « Outre cela, faites souvent des oraisons jaculatoires à Notre Seigneur, et ce à toutes les heures que vous pourrez, et en toutes compagnies, regardant toujours Dieu dans votre coeur, et votre coeur en Dieu. » Et à une de ses philotées :

[6] « Adorez Dieu le plus souvent que vous pourrez pour des courts mais ardents élancements de votre coeur. C’est ici un des grands articles du profit spirituel, parce que notre esprit hantant si souvent et familièrement son Dieu il se parfume de ses perfections. » Et François recommande ces oraisons surtout aux personnes malades ou souffrantes qui sont incapables de fixer trop longtemps leur attention. Ainsi les conseils qu’il prodigue à Rose Bourgeois, de Crépy, abbesse du Puits d’Orbe : [7] « Étant malade, ne faites point d’autre oraison que jaculatoire, et ayant soin de vous, obéissant soigneusement au médecin, et croyez que c’est une mortification agréable à Dieu ; et quand vos soeurs le serons, soyez fort affectionnées à les visiter, secourir, et faire service et consoler. » Également à Mme Brûlard, qui attend un bébé, et supporte difficilement son état :

[8] « Ma Fille, puisque votre grossesse vous incommode beaucoup à faire l’oraison mentale longue et ordinaire, faites-la courte et vive. Réparez ce défaut par de fréquents élancements de votre coeur en Dieu, faites de bonnes pensées en vous promenant, offrez vos langueurs et lassitudes à Notre Seigneur crucifié. » Toute sa vie, Mme Brûlard a difficilement supporté la maladie, et était même un peu effrayée à l’idée de la mort. St François lui demande d’être résignée.

[9] « Quant à la méditation, les médecins ont raison : tandis que vous êtes infirme, il s’en faut sevrer. Et, pour réparer ce manquement, il faut que vous fassiez au double des oraisons jaculatoires, et que vous appliquiez le tout à Dieu par un acquiescement entier à son bon plaisir qui vous sépare aucunement de lui, vous donnant cet empêchement-là à la méditation ; Mais c’est pour vous unir plus solidement à lui par l’exercice de la sainte et tranquille résignation. » Mme de Travernay, une de « ses plus chères Filles » était très souvent malade. Elle perdait en ces moments ses habitudes de piété et n’arrivait pas à prier. St François trouve normal que :

[10] « Tandis que nos corps sont en douleur, il est malaisé d’élever nos coeurs à la considération parfaite de la bonté de Notre Seigneur. Cela n’appartient qu’à ceux qui, par de longues habitudes, ont leur esprit entièrement contourné du côté du ciel. Mais nous, qui sommes encore tout tendres, nous avons des âmes qui se divertissent aisément aux sentiments des travaux et douleurs du corps ; c’est pourquoi ce n’est pas merveille si, durant vos maladies vous avez interrompu l’usage de l’oraison intérieure. Aussi en ces temps-là, il suffit d’employer les prières jaculatoires et sacrées aspirations ; car puisque le mal nous fait souvent soupirer, il ne coûte rien soupirer en Dieu, et à Dieu et pour Dieu, de plus que de soupirer pour faire des plaintes inutiles. » Mais François se montre quand même exigent : la maladie ne dure pas toujours.

[11] « Mais maintenant que Dieu vous a rendu votre santé, il faut bien, ma chère Fille, reprendre votre oraison au moins pour une demi-heure le matin et un quart d’heure le soir avant souper ; car depuis qu’une fois Notre Seigneur vous a donné le goût de ce miel céleste, ce vous sera un grand reproche si vous vous en dégoûtez. » Le Seigneur ne nous demande pas, dans nos prières, de grandes démonstrations et de beaux discours. Etre là avec lui, près de lui, est quelquefois suffisant ; l’essentiel est d’être sûr de sa présence, même si on a l’impression de ne rien faire. Mme Brûlard, toujours impatiente, trouve ses prières insuffisantes. Mais François la rassure :

[12] « Vous ne faites rien, ce me dites-vous, en l’oraison. Mais qu’est-ce que vous voudriez y faire sinon ce que vous y faites, qui est de présenter et de représenter à Dieu votre néant et votre misère ? C’est la plus belle harangue que nous fasse les mendiants que d’exposer à notre vie leurs ulcères et nécessités. Mais quelquefois encore ne faites vous rien de tout cela, comme vous me dites, mais vous demeurez là comme un fantôme et une statue qui ne servent qu’à récréer la vue du Prince : contentez-vous donc de servir de cela en la présence de Dieu, il animera cette statue quand il lui plaira. » Et dans une autre lettre, il insiste encore sur la valeur de ce silence :

[13] « Ne vous tourmentez point pour votre oraison que vous me dites se passer sans paroles, car elle est bonne, pourvu qu’elle vous laisse de bons effets au coeur. Ne vous violentez pas pour parler : en cet amour divin, assez parlé qui regarde et se fait voir. » Cela lui paraît si facile qu’il demande à une de ses Philotée de mettre de côté sa propre volonté et de s’en remettre totalement à Dieu.

[14] « Il faut bien faire ceci : surtout aller à la sainte oraison avec une grande douceur d’esprit et sans volonté d’y rien faire, mais seulement pour y recevoir ce que Notre Seigneur vous y donnera. » A Mme de Charmoisy, pour qui fut rédigée l’Introduction à la Vie Dévote, il tient un discours semblable :

[15] « En l’oraison, on s’approche de Dieu et on se met en sa présence pour deux raisons principales : la première est de rendre à Dieu l’honneur et l’hommage que nous lui devons, et cela peut se faire sans qu’il nous parle, ni nous à lui ; car ce devoir se fait en reconnaissant qu’il est notre Dieu et nous ses viles créatures, et demeurant devant lui prosternés en esprit, attendant ses commandements. La seconde cause pour laquelle on se présente devant Dieu, c’est pour parler avec lui et l’ouïr parler à nous par ses inspirations et mouvements intérieurs. » Il conseille à Mme de Chantal de ne pas faire durer trop longtemps ses oraisons, car elles y perdraient de leur simplicité et de leur efficacité.

[16] « De tout cela je recueille que vous devez vous abstenir des longues oraisons (car je n’appelle pas longues l’oraison de trois quarts d’heure ou d’une demi-heure), et des imaginations violentes particularisées et longues ; car il faut qu’elles soient simples et fort courtes, ne devant servir que de simple passage de la distraction au recueillement. » Le calme que St François conseille à ses Philotées dans leur comportement doit aussi se retrouver dans l’oraison. A Jeanne de Chantal, toujours un peu trop impatiente, Il demande de maîtriser cette impatience.

[17] « Non, je vous prie, ma Fille, ne violentez pas votre tête pour la faire franchir les barrières ; demeurez tranquille en votre oraison, et quand les distractions vous attaqueront, détournez-les tout bellement si vous pouvez ; sinon, tenez la meilleure contenance que vous pourrez, et laissez que les mouches vous importunent tant qu’elles voudront, pendant que vous parlez à votre Roi. Vous pourrez les émoucher avec un mouvement civil et tranquille et non pas avec un effroi ni impatience qui vous fasse perdre contenance. » Là encore, il conseille l’équilibre, la modération, car il ne sert de rien de vouloir trop en faire. Alors comment faire, avec toutes ces distractions qui, au cours de nos prières, nous éloignent de notre but, et nous font penser à toute autre chose ? Nos soucis refont surface, et nous entraînent souvent bien loin, dans des pensées qui n’ont rien à voir avec notre prière. Jeanne de Chantal devait y être aussi confrontée puisqu’elle s’en est ouverte à François. Celui-ci, toujours rassurant, les rabaisse au niveau d’insectes importuns.

[18] « Et quant aux distractions, pourvu que l’on ait le désir de prier un peu ardent, elles cesseront petit à petit, et, si elles ne cessent pas, l’oraison en sera d’autant meilleure, comme faite sans goût ni intérêt, pour le pur amour de plaire à l’Époux. » «  Vous faites bien pour ce qui regarde l’oraison et ses distractions et petites envies spirituelles ; ne vous amusez point à cela mais, d’un coeur élevé, travaillez, devant Dieu, avec votre volonté supérieure, vous animant au saint amour. » C’est à dire qu’il faut aussi avoir la volonté de ne plus y penser, en considérant qu’elles n’ont pas tant d’importance, en regard de l’amour que Dieu nous porte et que nous Lui portons. La meilleure façon de faire oraison, c’est de garder une grande simplicité dans un réel coeur à coeur, dans l’intimité que l’on peut avoir avec Dieu, puisqu’il est notre Père. C’est ce qu’il écrit à Jeanne de Chantal.

[19] « Votre sorte d’oraison est très bonne, et même beaucoup meilleure que si vous y faisiez des considérations et discours, puisque les considérations et les discours ne servent que pour exciter les affections ; de sorte que s’il plaît à Dieu de nous donner les affections sans discours ni considérations, ce nous est une grande grâce. Le secret des secrets en l’oraison, c’est de suivre les attraits en simplicité de coeur. Prenez la peine de lire ou de vous faire lire, si vos yeux ne peuvent fournir à cela, le septième livre du Traité de l’Amour de Dieu et vous y trouverez tout ce qui vous sera nécessaire de connaître de l’oraison. » Dans ce chapitre de ce Traité, François compare l’union que l’on a avec le Seigneur dans l’oraison au lierre qui s’unit à l’arbre, car « il ne s’unit pas seulement, mais il se presse et serre si fort à lui que même il pénètre et entre dans son écorce. » Une autre très belle comparaison est celle du lien réciproque qui unît une maman donnant le sein à son enfant. Il faut donc, dans l’oraison, garder la simplicité, sans chercher à analyser ce que l’on dit, l’essentiel étant la sincérité et l’amour avec lequel on le dit. C’est à Mme de Granieu, qu’il dirigeait spirituellement, qu’il donne ces conseils, quand elle lui écrit quelle est sa méthode d’oraison.

[20] « Je vous ai dit que tout cela allait fort bien, et qu’encore qu’il fallût porter un point, si toutefois Dieu vous tirait à quelque affection aussitôt que vous seriez en sa présence, il ne fallait pas s’attacher au point (prévu par la méditation), mais suivre l’affection ; et quand elle sera plus simple et plus tranquille, elle sera meilleure, car elle attache plus fortement l’esprit à son objet. Mais, ma très chère Fille, étant une fois résolue de cela, ne vous amusez point, pendant l’oraison, à vouloir savoir ce que vous faites et comment vous priez ; car la meilleure prière ou oraison, c’est celle qui nous tient si bien employés en Dieu que nous ne pensons point en nous-même ni en ce que nous faisons. En somme, il faut aller là simplement, à la bonne foi et sans art, pour être auprès de Dieu, pour l’aimer, pour s’unir à lui. Le vrai amour n’a guère de méthode. »