Quelques souvenirs de Monseigneur Raymond Bouchex

12 mai 2010

décédé à Avignon le 9 mai 2010

Alleluia-service a sollicité le témoignage d’Edith Libman qui a bien connu l’ancien Archevêque d’Avignon, et plus particulièrement durant 12 années, à Radio Lumières, lors des émissions « Le mot de l’Evêque ».

 

Monseigneur Raymond Bouchex vient de franchir le grand Passage…

Avec la grâce de Dieu, il voit dans l’Eternité Celui auquel il avait donné sa vie. Il est mort au cœur du diocèse, visité par sa famille, ses frères évêques, des prêtres, des laïcs à qui il avait confié des responsabilités. A Béthanie, il se savait entouré de prière, une prière montant de toutes les paroisses de ce Vaucluse qu’il aimait.

Le mal, qui devait le ronger silencieusement depuis longtemps, éclata peu de temps après son départ de Sorgues en février ; très vite, il le plongea dans le silence. Sans parole, Mgr Bouchex accueillait d’un regard profond et attentif ceux et celles qui exprimaient leur soutien et priaient à ses côtés. La dernière nuit, du 8 au 9 mai, il participa à l’Eucharistie. La Providence permit qu’un sceau sacerdotal fût apposé sur la dernière heure terrestre du« bon et fidèle serviteur ». Voici, désormais, quelques souvenirs qui affleurent….

Quand s’approcha le temps de la démission, Mgr Bouchex, selon l’usage épiscopal, chercha un point de chute dans un autre diocèse. Grande fut sa gratitude à l’égard de Mgr Cattenoz quand son successeur, qu’il avait ordonné diacre, prêtre et évêque, lui dit que sa présence dans le diocèse d’Avignon ne le gênait pas, qu’au contraire il souhaitait qu’il y restât pour assurer l’Aumônerie de la Visitation de Sorgues et une présence sacerdotale au CHS de Montfavet.

L’accompagnement spirituel des malades mentaux était cher à Mgr Bouchex qui passait plusieurs jours chaque semaine à leur disposition. Il put retrouver les résidents d’Esquirrol,, un des quatre établissements de France où vivent, bien gardés, les meurtriers reconnus irresponsables. Il disait que ces pauvres parmi les pauvres formaient la plus pratiquante des paroisses et s’attardait après la messe à parler avec ceux qui l’approchaient.

Il aimait les pauvres, un fait parmi d’autres : on lui avait parlé d’une jeune femme, gravement atteinte du Sida qui, convertie, attendait le baptême, il veilla lui-même à une formation accélérée, pour la baptiser à la Vigile pascale suivante et prit même l’initiative de contacter les parents douloureusement réticents.

Il était fidèle à la Pauvreté pour sa vie personnelle, dans l’esprit de Charles de Foucauld, un modèle à ses yeux. L’amour des pauvres le guidait aussi vers les jeunes diocèses démunis. Il tenait à ce qu’il y ait toujours dans le diocèse au moins un prêtre Fidei Donum. Mgr Cattenoz en est témoin, lui qui a œuvré six ans au Tchad dans ce cadre. Il y avait aussi des liens solides et généreux entre les diocèses d’Avignon et de Tegucigalpa, la capitale du Honduras.

Mgr Bouchex était timide, cela se voyait ! Il le savait et l’assumait ! Sur le parvis des églises, après une cérémonie, c’était : « bonjour ! bonjour ! ça va ? » Si l’interlocuteur ne demandait rien, la conversation s’arrêtait là. A son tempérament de montagnard s’ajoutait, sans doute, le fait que, dans son enfance, la poliomyélite s’était acharnée sur lui, le laissant handicapé à vie. Quand le nonce, en 1972, lui annonça que le Saint-Père le nommait évêque auxiliaire d’Aix-en-Provence, il fut abasourdi, nous raconta-t-il à la radio, et tenta de se défendre derrière sa claudication ! Mais, en vain !

Dès le séminaire d’Annecy, les supérieurs avaient repéré sa valeur spirituelle et intellectuelle. Son évêque l’envoya faire des études à Rome. Il en revint docteur en Théologie. Pendant des années, Mgr Bouchex fut membre de la commission doctrinale de la Conférence épiscopale de France et l’ « Osservatore Romano » le sollicitait régulièrement pour des articles de fond.

Pendant ses huit années de retraite (très relative !) à la Visitation, notre " ancien archevêque " (il n’aimait pas le terme " émérite " !) a publié un commentaire, en sept volumes, du cycle liturgique entier. Il répondait à une demande des éditions " Parole et Silence " On y retrouve le style concis, la doctrine ferme des éditoriaux de " Eglise d’Avignon " dont les photocopies circulaient dans les paroisses et celui des homélies. La dernière qu’il prononça à une messe du Festival, l’année où les spectacles de Jan Fabre semaient le trouble, une homélie sur le Corps, est une œuvre d’anthologie !

Son intelligence était servie par une mémoire étonnante, elle lui permettait, par exemple, sur le quai de la gare de Lyon, de reconnaître et de situer immédiatement un paroissien de Cavaillon, (ou d’ailleurs !) rencontré en visite pastorale des mois auparavant.

Naturellement bienveillant à autrui, Mgr Bouchex n’avait pas un tempérament révolutionnaire, mais lorsqu’un projet audacieux lui paraissait bon porteur de l’Annonce du Salut en Jésus-Christ, il se lançait dans sa réalisation, donnant à ses collaborateurs les moyens suffisants pour surmonter les obstacles. Ainsi naquirent et se développèrent la radio diocésaine et l’IDF (Institut diocésain de Formation) entre autres créations.

Equilibrant sa préférence personnelle pour la pauvreté, l’amour de la beauté pour Dieu dans l’Art vibrait en Mgr Bouchex Les dernières messes qu’il ait dites étaient illuminées, par un délicat retour de la Providence, par les œuvres de. Marcel Roy qu’il avait choisies pour la chapelle de Béthanie. Il n’aurait pas apprécié qu’on le décorât de l’adjectif mélomane. Mais il aimait la musique en connaisseur. La conviction que la musique sacrée et le chant choral étaient des vecteurs d’évangélisation était ancrée en lui. Jeune prêtre, aumônier de divers groupes de jeunes à Annecy, il s’efforçait, dès que possible, de monter une chorale.

S’il n’était guère loquace, spontanément, Mgr Bouchex abordait, cependant, avec vivacité tout débat d’idées, dès qu’une question était posée. Je le revois avec le Pasteur Paul Guiraud, qui vient, lui aussi, de quitter ce monde, emporté dans une discussion passionnée, œcuménique et interminable, pendant que la foule des amis de la Radio attendait le signal de l’apéritif !

Quand il venait à la Radio enregistrer le " Mot de l’Evêque ", on lui présentait les questions posées par les auditeurs. La préparation de l’émission consistait simplement en sa lecture attentive des sujets ainsi proposés. Puis, il en pointait une, deux, trois parfois, relevait la tête, et l’enregistrement commençait. Si une question était dure, un peu agressive ou embarrassante, il commençait toujours par celle-là ! On nous le reprochait « Vous ne lui faites pas de cadeau, à votre archevêque ! " Mais c’était lui qui voulait éclairer d’en haut la question pénible, chercher la vérité sous l’opinion erronée, ou désamorcer la polémique, tout en restant très ferme sur la Foi et la Morale.

Mgr Bouchex se tenait toujours au courant de l’évolution intellectuelle contemporaine, en philosophie comme en théologie. Le dernier livre dans lequel il se plongea, à Béthanie, fut l’édition, récemment parue, de la correspondance d’Edith Stein, une sainte qu’il aimait beaucoup. Il avait été heureux de l’entrée de Jean-Luc Marion à l’Académie.

Début février dernier, il corrigeait les épreuves de son second livre sur les textes du Concile, lorsqu’il tomba : les ligaments de son genou avaient cédé et le mal qu’il portait éclata. Mgr Bouchex éteignit son ordinateur et dit " je n’en ai plus le goût ! ". A partir de ce moment, il ne fut plus que prière et attente de la Rencontre.

Maintenant qu’il est, par la Grâce de Dieu, face à la Vérité et la Beauté éternelles, il intercèdera, c’est notre Espérance, pour que tous ceux qu’il a aimés et servis tant d’années, soient dans la Paix.



Edith Libman